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Conversions d'athées
n°372

Italie

1909

Alessandro Serenelli, l’assassin sauvé par sa victime

En 1909, Alessandro Serenelli purge une peine de prison de trente ans pour l’assassinat de Maria Goretti, sa petite voisine de onze ans et demi, qu’il a massacrée parce qu’elle refusait ses avances. Ce drame atroce a bouleversé l’Italie. Pourtant, le jeune criminel ne manifeste aucun remords. Le seul à plaindre, dans l’histoire, c’est lui, comme il ne manque pas une occasion de le rappeler. C’est vrai, Sandro n’a pas eu de chance dans la vie, ce qui lui a permis de bénéficier de circonstances atténuantes, mais cela n’excuse pas tout, tant s’en faut ! Cela, l’aumônier de la prison essaie de le lui faire comprendre depuis bientôt sept années, relayé par l’évêque du lieu, Mgr Blandini, qui vient régulièrement voir le garçon. En vain. Pourtant, ce matin-là, à la surprise de l’évêque, Serenelli réclame sa visite et, au lieu de l’insulter, comme d’ordinaire, lui demande l’explication du rêve étrange qu’il a fait la nuit précédente : il a vu Maria…

© CC0 pickpik.
© CC0 pickpik.

Les raisons d'y croire :

  • Alessandro Serenelli est incontestablement digne de compassion. Son père, alcoolique et violent, le battait. Sa mère, issue d’une famille au sein de laquelle les troubles mentaux sont héréditaires, a tenté de le noyer quand il était bébé, ce qui lui a valu d’être internée en hôpital psychiatrique, où elle est décédée sans que son fils l’ait connue. L’enfant n’a jamais été aimé ni éduqué. Adolescent, il s’est engagé comme mousse sur des navires où on lui a enseigné la loi du plus fort, le mépris de la morale chrétienne, à boire « comme un homme » et prendre son plaisir avec des prostituées. En fait, il ne distingue pas le bien du mal et, s’il le pouvait, ne s’en encombrerait pas car il est égoïste : il ne songe qu’à lui et à ce qui lui plaît. Il écrira en 1961 dans son testament : « En ma prime jeunesse, je reconnais avoir pris un mauvais chemin, celui du mal qui mène à la ruine, influencé par la presse et les mauvais exemples que tant de jeunes gens suivent sans réfléchir. »

  • Dans ces conditions, après le crime qu’il a commis et qu’il purge avec colère, essayer de l’amender et de lui faire reconnaître ses fautes dépasse les forces humaines. Les prêtres qui s’y sont essayés et s’y essaient encore se heurtent aux crises de rage du jeune détenu, ses insultes, ses menaces, voire ses coups. S’ils s’obstinent à revenir, c’est pour exaucer le dernier vœu de sa victime.
  • Quelques minutes avant de succomber, le 6 juillet 1902, aux terribles blessures que Serenelli lui a assenées, à la question de son curé qui venait de lui administrer les derniers sacrements, lui demandant si elle pardonne à son assassin, Maria Goretti a répondu non seulement qu’elle lui pardonnait « pour l’amour de Jésus », mais aussi qu’elle « voulait qu’il aille au Ciel avec elle ». Il a fallu à la fillette à la fois une générosité héroïque pour accorder ce pardon et un sens remarquable des réalités éternelles. Elle agonise dans des souffrances atroces depuis vingt-quatre heures et les offre en vue du salut de son bourreau, en union avec la Passion du Christ.

  • Les derniers mots qu’Alessandro Serenelli a entendus de Maria, alors qu’il tentait de la violer, ont été : « Ne fais pas cela, Sandro, c’est un péché ! Arrête ! Tu iras en enfer ! » Si, rendu fou de rage par la résistance désespérée de la petite fille, cette menace ne l’a pas empêché de la frapper sept fois au ventre et à la poitrine, puis encore sept autres fois dans le dos alors qu’elle tentait de lui échapper, cette pensée de la damnation le tracasse malgré tout et, ses connaissances religieuses étant quasi nulles, ignorant tout de la miséricorde divine, il ne pense pas pouvoir y échapper. Il est donc difficile d’imaginer que son subconscient ait pu fabriquer de toutes pièces un rêve mettant en scène des notions de pardon, de rédemption, de communion de saints et de partage des mérites, qui lui sont totalement étrangères.

  • Sept ans ont passé depuis l’assassinat de Maria. Il ne parle jamais de la fillette et semble la tenir pour responsable de son crime, puisque c’est son refus et son « mépris » qui l’ont poussé à acheter un couteau, dans l’idée de l’effrayer et de l’obliger à céder. Dans un tel état d’esprit et de rancune contre celle qu’il a été « obligé » de tuer, il est improbable qu’il la voie en rêve comme un être bienveillant et aimant.

  • Le fameux rêve, Serenelli le raconte lui-même : « Je me voyais dans un jardin plein de lys blancs. J’ai vu Marietta venir à moi, belle et vêtue de blanc. Elle commença à cueillir des lys et à les déposer dans mes bras jusqu’à ce qu’ils en fussent pleins. Elle me souriait comme un ange. Puis, soudain, mes lys se sont transformés en roses rouges [une autre version parle également de torches enflammées]. Marietta me sourit encore puis elle disparut. » Pour un catholique pratiquant, la symbolique de ce songe est évidente, parlante, mais Alessandro ne la comprend pas ; il ne saurait donc l’avoir fabriqué.

  • Dans la vision de Serenelli, les fleurs immaculées, symbole de la pureté et de la virginité de sa victime, se transforment en roses rouges, symbole du sang versé et du martyre, puis en flammes ardentes. Bizarrement, alors que le jeune homme, hanté par la peur de l’enfer, pourrait interpréter ces flammes comme une annonce de sa damnation et le plonger dans l’effroi, c’est tout le contraire qui se produit. Pour lui – son confesseur le confirmera –, ces flammes sont celles de l’amour du Christ, « fournaise ardente de charité », qui consument ses péchés et le sauvent de l’enfer. Serenelli conclut son récit par ces mots étonnants : « Je me réveillais en sursaut et je pensais : je suis sauvé car j’avais la certitude que Marietta était venue m’accorder son pardon. Désormais, je ne ressentis plus l’horreur de ma vie. » Cette conclusion ne peut lui venir que d’une inspiration divine tant elle est à l’opposé de sa vision des choses.

  • Prévenu, Mgr Blandini accourt et, après avoir écouté le récit de son rêve, lui dit que Maria lui a pardonné avant de mourir. En larmes, Serenelli tombe à ses genoux, manifestant une immense contrition de ses fautes, et fait une confession exemplaire, reconnaissant pour la première fois ses mauvaises habitudes, ses vices, sa passion maladive pour cette petite fille, sa colère de ne pas parvenir à abuser d’elle et sa rage en l’entendant lui répéter que c’était mal et que Dieu ne le permettait pas. La grâce de la contrition parfaite, surtout s’agissant d’un criminel obstiné, accordée en un instant, sans que rien le laisse prévoir, ne peut venir que de Dieu.
  • L’absolution reçue, Serenelli est méconnaissable, comme s’il s’était libéré, en plus de ses péchés, de tous les liens qui l’enchaînaient, et même de ses troubles mentaux. Dès lors, il devient et demeure un prisonnier exemplaire.
  • L’on ne peut pas penser à de la simulation ni à un calcul destiné à écourter son emprisonnement ou améliorer ses conditions d’incarcération. Seules l’excuse de la minorité et les circonstances atténuantes dues à son lamentable environnement familial et au passif psychiatrique des siens lui ont permis de sauver sa tête et d’éviter la perpétuité, lui valant une peine incompressible de trente ans. Il le sait, tout comme il sait que feindre des efforts d’amélioration ne lui servirait à rien. D’ailleurs, jouer la comédie du repentir et du prisonnier modèle pendant deux décennies serait très difficile. La conversion d’Alessandro est authentique et jamais il ne réclamera une libération anticipée, acceptant sa longue peine de prison comme le prix à payer pour son crime et sa rédemption. Il le dit : « À vingt ans, j’ai commis un crime passionnel dont le seul souvenir m’épouvante encore. Marietta, cette sainte, fut le bon ange que la providence mit sur ma route […]. Elle a prié et intercédé pour moi, son assassin. J’ai fait trente ans de prison […]. J’ai accepté cette sentence méritée et j’ai expié ma faute avec résignation. »

  • Lorsque Serenelli sort de prison, il comprend que son crime le poursuit et qu’il n’a plus sa place dans la société. Il décide alors de demander à être accueilli par les capucins du couvent d’Ascoli Piceno, à Macerata, dans les Marches. Avant d’y être reçu, il lui reste une dernière démarche, pénible, à accomplir : le jour de Noël 1935, il va voir Assunta Goretti, la mère de Maria, et, à genoux devant elle, implore son pardon. Madame Goretti répond : « Si Maria t’a pardonné, si Dieu t’a pardonné, Alessandro, moi aussi, je te pardonne. » Seul un grand et sincère repentir peut permettre un tel geste.

  • Serenelli entre chez les Fils de Saint-François « qui l’accueillent avec une charité séraphique » en 1936. C’est là qu’il meurt, le 16 mai 1970, après avoir passé le reste de ses jours dans la prière, en travaillant au jardin. Là encore, un si long repentir ne peut être feint. Par humilité, il demande à ce que son testament, dans lequel il confesse ses fautes et la miséricorde divine, rédigé en 1961, soit publié après sa mort.

Synthèse :

Le 5 juillet 1902, profitant de l’absence d’adultes à la ferme des Ferriere della Conca, dans les Marais Pontins, Alessandro Serenelli, vingt ans, entraîne Maria, la fille de ses voisins Goretti, dans la maison déserte. Depuis des mois, cette fillette l’obsède. Il s’est juré de la posséder, en vain car Maria, très pieuse, oppose à ses sollicitations de plus en plus pressantes cette seule raison : « Dieu ne le permet pas, c’est mal ! » Ce jour-là, excité par des illustrés pornographiques, ivre, Alessandro s’est juré d’arriver à ses fins, devrait-il la tuer. Bien que Maria, qu’il a déjà agressée, ait peur de lui, il parvient à l’attirer chez lui et, lui mettant un couteau sous la gorge, la menace de mort si elle résiste. Tandis qu’il lui arrache ses vêtements, Maria se débat, quoique terrorisée, et crie : « Ne fais pas cela, Sandro, c’est un péché, lâche-moi ! Tu iras en enfer ! »

Depuis ses commencements, l’Église enseigne aux chrétiennes victimes d’agression sexuelle que seul le violeur pèche. Il n’y aurait donc aucune faute de la part de Maria si, sous la menace d’une arme, elle cédait. Préférer mourir plutôt que perdre sa virginité prouve la vertu héroïque de la petite, capable de sacrifier sa vie pour ne pas offenser Dieu.

Parce qu’elle continue de le repousser, criant : « Plutôt la mort que la souillure ! », Serenelli la poignarde sept ou huit fois au ventre et à la poitrine, puis, comme elle tente de se traîner dehors, la rattrape et lui assène sept coups de couteau supplémentaires dans le dos. Mourante, Maria tente encore de sauvegarder sa pudeur et de se couvrir de ses vêtements en lambeaux et inondés de sang. Lorsque les secours arrivent enfin, Maria, encore consciente, a la force de nommer le criminel et dit : « Maman, je ne lui ai pas cédé ! Je n’ai pas consenti au péché ! », puis exprime sa terreur à l’idée de revoir son assassin.

Cette réaction, parfaitement normale de la part d’une victime, ne rend que plus remarquable la tranquille lucidité avec laquelle, le lendemain, la fillette, à la demande du prêtre qui lui donne les derniers sacrements, pardonne à Serenelli, disant : « Oui, je lui pardonne pour l’amour de Jésus et je veux qu’il soit au Ciel à côté de moi. » Puis elle implore son frère, Angelo, de pardonner, lui aussi, et de ne pas chercher à la venger. Maria meurt dans la soirée du 6 juillet à l’hôpital de Nettuno, en récitant la demande du Pater : « Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. » Ainsi se conforme-t-elle parfaitement au Christ sur la Croix, à qui elle a offert les terribles souffrances de son agonie. « Martyre de la pureté », Maria Goretti est canonisée en 1950.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Au-delà des raisons d'y croire :

La violence de l’acte commis, dans ce qui ressemblait à un état second, l’absence de regrets, les troubles comportementaux de Serenelli, l’agression physique contre un prêtre, dont il s’est rendu coupable lors de sa brève incarcération à la prison romaine de Regina Cœli, ont poussé certains exorcistes à envisager un cas de possession ; qu’il s’en soit pris à une fillette particulièrement pieuse et chaste pourrait conforter cette explication, mais une telle emprise démoniaque rend très difficile la libération de celui qui en est victime, et plus encore le retour à Dieu s’il ne le veut pas.


Aller plus loin :

Madeleine Louise de S., Le Message de Maria Goretti, réédition éditions Saint-Rémy, 1950.


En savoir plus :

  • Giordano Bruno Guerri, Povera santa, povero assassino. La vera storia di Maria Goretti, Mondandori, 2008 (dernière édition : Bompiani, 2021)
  • Giovanni Alberti, Maria Goretti, Città Nuova, 1980 (en italien).
  • Abbé Guillaume Hünermann, Maria Goretti. Fleur des marais, Salvator, dernière édition 2022.
  • Father Godfrey Poage, St. Maria Goretti. In Garments All Red, Tan Books, 1950 (en anglais).
  • Le film sur Maria Goretti : Cielo sulla palude (La Fille des Marais), paru en 1949.
  • Le film Maria Goretti, paru en 2003, disponible en anglais, espagnol, italien en ligne.
  • La vidéo d’AleteiaFR : « Sainte Maria Goretti : elle convertit son assassin qui tentait d’abuser d’elle ».
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