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Les martyrs
n°210

Tyrnavos (Thessalie, Grèce)

1818

Il brave les supplices pour expier son apostasie

C’est à un curieux spectacle qu’assistent, ce 30 décembre 1818, les habitants de la petite ville grecque de Tyrnavos, en Thessalie : un homme âgé est promené nu dans les rues, sur le dos d’un âne, sous les crachats et les insultes des passants, qui lui jettent des ordures tandis qu’on le conduit au supplice. Le sexagénaire, un moine nommé frère Gédéon, semble non seulement indifférent à ce qui lui arrive, mais content de son sort. Et comment ne le serait-il pas ? Voilà, en effet, qu’après plus d’un demi-siècle de prières et de pénitences, Dieu exauce son désir le plus cher en lui accordant la grâce du martyre, qui effacera sa conversion à l’islam quand il avait douze ans. Bientôt, les miracles se multiplieront sur sa tombe.

© Unsplash/Marek Piwnicki
© Unsplash/Marek Piwnicki

Les raisons d'y croire :

  • Enlevé à douze ans par un notable turc, Nicolas est converti de force à l’islam, mais il regrette très vite sa faiblesse, car il ressent près de lui la présence aimante du Christ qui l’incite sans cesse à revenir à lui. Bien qu’il sache ce qu’il en coûte de renier l’islam, et qu’il ne puisse espérer aucune aide, le garçon n’a qu’une pensée : s’échapper et trouver un moyen de revenir à l’orthodoxie.
  • C’était inespéré, mais il parvient à s’évader et à regagner son village. Redoutant les peines prévues pour ceux qui aident un esclave échappé, ses parents refusent de le recevoir. La main de Dieu se manifeste alors à nouveau en suscitant sa rencontre avec un pope qui vient de perdre son fils et l’adopte, l’aidant à réfléchir aux moyens de réparer son apostasie.
  • Trois ans plus tard, à la mort de son bienfaiteur, Nicolas, qui pourrait rester dans sa famille adoptive, part pour les monastères du mont Athos y faire pénitence. Il y passe trente-cinq ans sous le nom de religion de Gédéon.
  • Malgré les pénitences qu’il s’inflige, Gédéon ne se pardonne pas son apostasie. Un verset de l’Évangile (Mt 10,33) s’impose à lui comme si une voix le lui répétait : « Celui qui se déclarera pour moi à la face des hommes, je me déclarerai pour lui devant mon Père à la face des anges ; celui qui me reniera à la face des hommes, je le renierai devant mon Père à la face des anges. » Il arrive à la conviction qu’il doit confesser publiquement sa foi en Christ s’il veut être pardonné, tout en sachant que les Turcs tiendront son acte pour un reniement de l’islam, ce qui est passible de mort.

  • Il ressent un ardent désir du martyre, unique moyen, en confessant publiquement le Christ, d’effacer son reniement. L’Église, suivant les enseignements de Jésus, interdit le martyre volontaire – une forme orgueilleuse de suicide et une faute contre le prochain, que l’on pousse à commettre un péché très grave. Gédéon attend donc un signe d’en haut pour mettre son projet à exécution. Il s’ouvre de ses intentions à ses supérieurs et leur avoue son désir de courir au martyre.
  • En 1797, ses supérieurs le nomment économe du monastère qu’ils possèdent en Crète. Cette nomination prouve que Gédéon est un religieux équilibré et sérieux.
  • Gédéon sort du monastère avec la permission de ses supérieurs et, pendant près de vingt ans, il confesse publiquement sa foi, au risque de sa vie : « Christ est ressuscité, oui, il est vraiment ressuscité ! ». Sa détermination est mise à l’épreuve de diverses façons, l’exposant à des humiliations publiques et des supplices.

  • Les provocations de Gédéon dépassent tellement le sens commun que les Turcs le prennent pour un fou et répugnent à le châtier, le tenant pour irresponsable. Il n’en est rien : ce « fol en Christ », comme disent les orthodoxes – parlant de certains mystiques tellement emportés par l’amour divin que leur comportement ne paraît plus rationnel –, est bien appelé à suivre son Seigneur sur son chemin de croix. L’occasion est donnée à Gédéon de regagner son monastère et de sauver sa vie, mais il préfère réaliser sa vocation.

  • Les supplices qui lui sont infligés le 30 décembre 1818 l’envoient vers une mort lente et douloureuse. Or, pendant les vingt-quatre heures de son agonie, il ne cesse de sourire, et nul ne l’entend se plaindre.
  • Le 1er janvier 1819, lorsque les chrétiens récupèrent le corps du martyr, jeté dans une fosse d’aisances, il en émane « une douce clarté », et il répand un parfum très suave ; ses plaies se rouvrent et du sang frais et vermeil en coule à flots, ce qui est en théorie impossible. Recueilli, il opère aussitôt des miracles

  • Avant de mourir, Gédéon a annoncé au pacha de Tyrnavos, qui l’a condamné, qu’il sera bientôt mis à mort et qu’il ne restera pas pierre sur pierre de sa demeure. Cette prophétie se réalisera exactement peu après.
  • Les miracles n’ont jamais cessé sur sa tombe, au monastère de Karakallou : des fidèles et des moines évoquent, outre des clartés et parfums mystérieux, des apparitions du martyr.

Synthèse :

Né dans une famille chrétienne orthodoxe pauvre de Capouma, dans les années 1750, Nicolas, apprenti chez l’un de ses oncles, est enlevé par un notable turc. Cette pratique est fréquente dans les pays occupés par l’Empire ottoman, et il s’ensuit toujours une conversion forcée à l’islam. Sous la pression de son maître, l’adolescent devient musulman, mais l’attachement à la foi de ses ancêtres est toujours là, et il ressent près de lui la présence aimante du Christ.

Il s’enfuit et, pour expier son apostasie, gagne un monastère du mont Athos où, devenu frère Gédéon, il passe trente-cinq ans dans la prière et la pénitence. Il arrive à la conviction qu’il doit confesser publiquement sa foi chrétienne s’il veut être pardonné, tout en sachant que les Turcs tiendront son acte pour un reniement de l’islam, ce qui est passible de mort. Seuls des motifs très sérieux ont pu permettre que les supérieurs de Gédéon lui accordent cette permission exceptionnelle.

En 1799, Gédéon retourne chez son ancien maître et lui reproche de l’avoir, enfant, converti de force. On est le Jeudi saint. Gédéon, couronné de fleurs, parcourt les rues de la ville de Velestino en distribuant des œufs de Pâques et en répétant la formule traditionnelle : « Christ est ressuscité, oui, il est vraiment ressuscité ! » Persuadé d’avoir affaire à un fou, le juge l’invite à prendre une tasse de café avec lui et prend la boisson brûlante en pleine figure… Il le fait alors férocement bastonner.

Immobilisé plus de trois mois, Gédéon continue cependant, dès sa guérison, à chercher une occasion de martyre ; il met ainsi des soldats turcs au défi, au nom de Mahomet, de prendre à pleine main un charbon ardent, tandis que lui le fera au nom du Christ. Toujours pris pour un fou, il regagne quelques mois son monastère, mais l’appel du martyre n’ayant pas diminué, il en ressort et confesse la divinité de Jésus dans les rues de Tyrnavos.

Le pacha se décide à le faire exécuter : après avoir été promené nu sur un âne, Gédéon a les pieds et les mains tranchés. Les plaies sont cautérisées pour qu’il ne meure pas trop vite d’hémorragie, et il est jeté dans la fosse d’aisances du palais du pacha, où il expire après un jour et une nuit d’agonie sereine. Racheté par les chrétiens, son corps embaume et répand une douce lumière, tandis que du sang frais se remet à couler de ses membres amputés et opère des miracles. Gédéon est honoré comme « néomartyr » par l’Église grecque orthodoxe (catégorie de saints victimes soit des persécutions musulmanes, soit du communisme).

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin :

Sur le site Internet Orthodoxie.com, l’article sur les néomartyrs.


En savoir plus :

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