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TOUTES LES RAISONS DE CROIRE
Les moines
n°62

Italie

vers 480-547

Saint Benoît, patriarche des moines d’Occident

Saint Benoît de Nursie, rapidement connu pour être un thaumaturge, choisit un repli de la montagne à Subiaco pour mener une vie d’ermite. Sa réputation de sainteté est telle qu’il y est rejoint par près de 150 hommes désireux de se mettre à son école. Il rédige une règle qui devient, après sa mort, un texte fondateur pour la vie monastique dans toute l’Europe. La vie et l’œuvre de saint Benoît, qui est vénéré chez les catholiques aussi bien que chez les orthodoxes, constituent un tournant majeur dans l’histoire du christianisme.

Saint Benoît délivrant sa Règle à saint Maur et à d'autres moines de son ordre, France, monastère de Saint-Gilles, Nîmes, 1129. / © CC0/wikimedia
Saint Benoît délivrant sa Règle à saint Maur et à d'autres moines de son ordre, France, monastère de Saint-Gilles, Nîmes, 1129. / © CC0/wikimedia

Les raisons d'y croire :

  • Le rayonnement posthume, tous azimuts et à l’échelle planétaire, de saint Benoît, patriarche des moines d’Occident, contraste de façon totalement inexplicable avec la modestie de ses moyens naturels et ses aspirations érémitiques.
  • Le pape Grégoire le Grand a rapporté la vie et les miracles accomplis par saint Benoît dans le livre II des Dialogues. L’ouvrage a été rédigé en 592, soit à peine cinquante ans après la mort du saint, alors que de nombreuses personnes l’ayant connu étaient encore en vie. Il dit au sujet de saint Benoît : « L’homme de Dieu qui brilla sur cette terre par de si nombreux miracles, ne brilla pas moins par l’éloquence avec laquelle il sut exposer sa doctrine » (Dialogues, livre II, chap. 36).
  • La règle de saint Benoît, sans être le premier ni le dernier texte de ce type, domine le monde monacal du IXe siècle jusqu’à nos jours. Sa spiritualité a engendré les plus grandes familles religieuses de l’histoire européenne : Cluny (1 500 monastères vers 1100, 840 aujourd’hui) et Cîteaux (actuellement plus de 200 monastères).
  • À partir de saint Benoît, les moines jouent un rôle absolument décisif en Europe dans tous les domaines pendant plus d’un millénaire : religion, philosophie, art, musique, littérature, économie, architecture, médecine, sciences, philologie…
  • Les monastères que saint Benoît inspire deviennent le fer de lance de l’Église et sont pourvoyeurs de nombreux bienheureux, saints, papes, évêques, docteurs de l’Église.
  • Les Bénédictins jouent aussi un rôle pionnier depuis plus de 800 ans, et sont à l’origine de quelques-unes des plus grandes bibliothèques que l’humanité ait jamais connues. Nos connaissances sur l’Antiquité gréco-romaine nous ont notamment très largement été transmises par les monastères bénédictins.

Synthèse :

Né dans une famille chrétienne, à la fin du Ve siècle, à une centaine de kilomètres au nord-est de Rome (Italie, Latium), dans la cité antique de Nursie (aujourd’hui Norcia), Benoît est envoyé à Rome pour y étudier le droit. Le jeune étudiant ressent un profond malaise au contact du milieu dans lequel il évolue, et projette rapidement de tout quitter pour « plaire à Dieu seul ».

Il gagne le village d’Enfide (aujourd’hui Affile) au terme d’un périple pédestre de quatre-vingts kilomètres dans la campagne romaine. Il y accomplit son premier miracle : la réparation inexplicable d’un objet brisé. Ce prodige attire l’attention de beaucoup de personnes qui le considèrent bientôt comme un thaumaturge. Mais, pour le jeune homme, l’essentiel n’est pas là : il pense que Dieu peut être servi dans les tâches quotidiennes, et il se retire une seconde fois loin des hommes.

Il parvient à Subiaco, un endroit isolé en montagne. Il y rencontre pourtant Romain, un ermite ascétique, qui l’aide à s’installer dans une grotte voisine, que l’on nommera ultérieurement le Sacro Speco (la Sainte Grotte). C’est le premier disciple du saint. Les deux chercheurs de Dieu restent trois ans ensemble, organisant leurs journées et leurs nuits sur un mode contemplatif. Prière, lecture de la Bible et recherche de nourriture : c’est une première ébauche de l’emploi du temps bénédictin.

Benoît est rejoint par des hommes soucieux de se mettre à son écoute. Au fil des mois, de nouveaux fidèles s’agrègent au groupe et, bientôt, près de 150 moines partagent l’existence du saint. C’est l’origine de l’organisation des monastères bénédictins. Benoît répartit alors les religieux en 12 communautés autonomes, chacune composée de 12 moines. Il vient de fonder des « écoles de service du Seigneur », comme le sont encore les abbayes bénédictines de nos jours. La règle qu’il rédige explique que la place d’abbé (de l’araméen abbas, « père ») qu’il occupe est semblable à la place de Jésus parmi les apôtres.

Multipliant les miracles et connaissant un succès incroyable, la réputation de la communauté s’étend très au-delà de la région de Subiaco. Afin de garantir à ses moines la tranquillité, Benoît transfère la communauté au mont Cassin, à cent vingt kilomètres au sud de Rome, à l’emplacement d’un temple païen dédié à Apollon, qu’il remplace par des bâtiments et un petit oratoire consacré à saint Martin de Tours. L’abbaye du Mont-Cassin va devenir le phare du monachisme européen, non pas du vivant de Benoît, mais à partir de la dynastie des Carolingiens. Charlemagne uniformise la vie monastique à travers son empire en imposant la règle de saint Benoît comme seul texte normatif en vigueur dans les monastères.

Comment expliquer l’extraordinaire succès planétaire de cette petite règle rédigée au VIe siècle ? C’est d’abord moins un texte statutaire qu’un traité spirituel. La problématique de Benoît est très simple : organiser la vie pour servir le Christ du mieux possible. Pour cela, il n’invente pas une formule nouvelle, mais prend comme exemple absolu la communauté des apôtres à Jérusalem qui, dans son esprit, reste le modèle indépassable de tout groupe religieux. De plus, il ne crée pas un genre littéraire nouveau ; au contraire, il désire intégrer et synthétiser les apports des pères du monachisme qui l’ont précédé (orientaux et latins) : saint Augustin, saint Martin, saint Basile le Grand, Jean Cassien… Comme l’écrit le pape Grégoire le Grand, Benoît est « rempli de l’esprit de tous les justes ».

La règle bénédictine est donc un enseignement traditionnel visant à transmettre une sagesse basée sur la vie de Jésus et le monachisme existant depuis le IIe siècle (palestinien, égyptien et byzantin), sous la conduite de l’Esprit Saint. Ainsi, la vie contemplative n’est pas à inventer, mais à redécouvrir en actualisant les temps apostoliques de manière concrète. La seule règle, c’est l’Évangile. La règle subordonne tout à la recherche de Dieu, à travers l’obéissance, la pauvreté, l’humilité, le travail des moines…

Les miracles accomplis par saint Benoît ont aussi pour but de se rapprocher de Dieu : il dissipe une hallucination diabolique que les moines avaient prise pour un incendie, il guérit un jeune frère écrasé sous un éboulis... De même, le saint devine des choses cachées et lointaines, non pas par vaine curiosité, mais toujours pour augmenter la foi de ses frères : il rencontre tel d’entre eux qui a négligé le vœu de chasteté et ne s’en est pas confessé, tel autre qui a subtilisé de l’argent, ou encore tel autre qui ne s’est pas confessé avec sincérité…

Il prophétise au souverain ostrogoth Totila la durée de son règne, il prédit la destruction du Mont-Cassin en 589 par les Lombards, et même le jour de sa propre mort. Six jours avant celle-ci, il demande à ses frères d’ouvrir la tombe où il sera inhumé. Le jour venu, le 21 mars 547, deux moines ont une vision d’un chemin de lumière partant de la cellule du saint et montant jusqu’au ciel. Quelques semaines auparavant, le 10 février, sa sœur, sainte Scholastique, l’avait précédé dans la mort. Ce jour-là, le patriarche des moines avait vu son âme monter au ciel sous l’aspect d’une colombe.

Monument culturel, la règle est un modèle d’équilibre humain, faisant de l’ascèse non pas une fin en soi mais un outil spirituel. Elle se diffuse en Gaule à partir des années 575‑580. En 663, le concile d’Autun ordonne qu’elle soit dorénavant la seule législation monastique. Au début du VIIIe siècle, de prestigieuses abbayes bénédictines ont déjà vu le jour en France et en Allemagne. À partir du règne de Pépin le Bref, la règle s’impose définitivement dans toute l’Europe.

L’humble Benoît est devenu le patriarche des moines d’Occident. Les grands évangélisateurs de l’époque se réclament de sa spiritualité. En 813, le concile de Mayence érige sa règle en document officiel de l’empire carolingien. Entre 768 et 855, l’Europe bâtit 471 monastères bénédictins. C'est le début d'un succès historique et unique.

Patrick Sbalchiero


Au-delà des raisons d'y croire :

Il est strictement impossible d'appréhender complètement la culture chrétienne sans prendre en compte l’héritage incroyable des fils de saint Benoît.


Aller plus loin :

Règle de saint Benoît (écrite vers 530), de multiples éditions (dont la traduction de Lucien Regnault, à l’occasion de la célébration du 15e centenaire), Solesmes, 1980. Une autre version est aussi disponible en ligne.


En savoir plus :

  • Adalbert de Vogüé, Saint Benoît, homme de Dieu, Paris, Éditions de l’Atelier, 1993.
  • Adalbert de Vogüé, Saint Benoît : l’homme et l’œuvre, Éditions de l’abbaye de Bellefontaine, 2001.
  • Pierre Chavot, Saint Benoît, Paris, Flammarion, 2001.
  • Patrick Sbalchiero, Histoire de la vie monastique, Paris, Desclée de Brouwer, 2008.
  • Daniel-Odon Hurel, Saint Benoît, Paris, Perrin, 2019.
  • Benoît XVI, « Audience générale : saint Benoît de Nursie », 9 avril 2008.
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