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TOUTES LES RAISONS DE CROIRE
Les exorcismes au nom du Christ
n°572

France

1590 – 1656

L’âme expiatrice de Marie des Vallées (+1656)

Orpheline de père à douze ans, la jeune Marie des Vallées devient servante en 1602. Devant le refus qu’elle oppose à un prétendant et la vengeance qui s’ensuit, elle se trouve victime d’un sort démoniaque. Le libertinage, la débauche, la corruption et l’indifférence religieuse sont en effet courants alors : la France sort de plus de trente années d’une atroce guerre civile. La sorcellerie et la magie noire n’épargnent aucun milieu. Les exorcismes réitérés – rituels accomplis au nom et par la puissance de Dieu et destinés à chasser l’esprit maléfique – n’y font rien : Marie comprend que Dieu la prie de s’offrir en victime expiatoire pour tous. La sainteté qu’elle témoigne dans cette longue épreuve, jusqu’à sa mort le 25 février 1656, fait d’elle une remarquable mystique du siècle de Louis XIII et de Louis XIV.

Vitrail / © CC0
Vitrail / © CC0

Les raisons d'y croire :

  • La vie mystique de Marie des Vallées est essentiellement connue par le manuscrit de saint Jean Eudes. Ce dernier est depuis 1641 – à la demande de l’évêque de Coutances, Léonor Goyon de Matignon – son directeur spirituel, et ce pendant de nombreuses années. Il a exorcisé lui-même la jeune fille. Il tient les visions de Marie des Vallées comme venant de Dieu, et admire ses voies mystiques, qu’il consigne dans ce rapport historique de plus de mille pages intitulé La Vie admirable de Marie des Vallées et des choses prodigieuses qui se sont passées en elle. Or, la sainteté de l’auteur implique de sa part honnêteté, bon jugement et prudence (cf. l’article sur les enquêtes de canonisation). Ce récit, conservé aux archives des Eudistes à Paris, constitue donc une source historique pleinement digne de foi.
  • Outre saint Jean Eudes, Catherine de Bar, en religion mère Mechtilde du Saint-Sacrement, fondatrice des Bénédictines du Saint-Sacrement, à Paris, fut en relation avec Marie des Vallées. Il en est de même de plusieurs membres de l’Oratoire de Caen, dont Jean de Bernières et Gaston de Renty. Tous la considèrent comme une femme bénie de Dieu.
  • Marie des Vallées atteste que la possession qu’elle subit n’engage pas sa volonté, qui demeure entre ses mains, et qu’elle veut la garder bonne et pour ce faire soumise à Dieu. Cela sera vérifié par les autorités : durant six mois, elle est détenue à Rouen sur l’ordre du parlement (la cour de justice de l’époque) et soumise à de nombreux interrogatoires et à de multiples épreuves très pénibles. Pendant tout ce temps, Marie souffre ignominies, mépris et douleurs en unissant ses peines à celles du Christ, à qui elle a donné son cœur (La Vie admirable de Marie des Vallées, IV, 10). Elle répond parfois en latin ou en grec, alors qu’elle est quasiment illettrée. Au terme de l’enquête, il est conclu que Marie des Vallées est vertueuse et possédée malgré elle.
  • Elle devient servante à l’évêché de Coutances : elle est donc jugée saine d’esprit et droite de mœurs.
  • Marie des Vallées accepte le tourment que Dieu permet à son égard – Dieu n’en est évidemment pas l’auteur. Cet état d’esprit traduit son abandon à la volonté divine, disposition de la perfection chrétienne. Ainsi le Christ, son modèle, prie-t-il avant sa Passion : « Non pas ma volonté, ô Père, mais la tienne » (Lc 22,42).

  • Cette décision dépasse le stade de l’intention : Marie des Vallées réfléchit pour savoir comment la mettre en pratique. L’Église a reçu de son fondateur divin la mission d’enseigner (cf. Mt 28,19). Dans son enseignement pérenne, parce qu’hérité du Christ et fidèlement transmis sans l’édulcorer ni le travestir, elle est donc le porte-parole du Christ ici-bas. Aussi Marie des Vallées se détermine-t-elle à suivre librement les injonctions de l’Église : « Mais il me faut bien prendre garde à ce que je dois faire pour plaire à Dieu et pour me sauver en l’état où je suis. Me voici entre les mains de l’Église, laquelle n’a point d’autre intention que de me délivrer des démons, si c’est la volonté de Dieu. Que faut-il que je fasse de mon côté ? Il faut que j’obéisse promptement et exactement à tout ce que l’Église me commandera, sans examiner ce qui me sera ordonné et sans me plaindre jamais des choses qui me seront commandées, pour difficiles qu’elles puissent être » (La Vie admirable de Marie des Vallées, I, 3).

  • Le 18 novembre 1616, elle entrevoit en esprit, par la permission divine, l’enfer et le désespoir des damnés, dont la peine provient de ce qu’ils sont morts le cœur pénétré du mépris de Dieu. Cette vision, qui sera reconduite et développée pendant plusieurs années, la marque définitivement. Elle comprend que la mission que Dieu attend d’elle est de prier et de souffrir pour les hommes qui n’envisagent la vie que comme un jeu égoïste et souvent cruel où toutes les règles sont permises, alors que seul Dieu compte ici-bas et pour l’éternité.
  • Aussi offre-t-elle ses tourments pour expier les méfaits des malheureux qui se donnent au diable. Le 8 décembre 1615, elle accepte héroïquement un « échange de volontés » : elle supplie le Christ que les maléfices que les sorciers jettent à d’autres filles tombent sur elles, afin de les en préserver, et s’offre en expiation pour tenter d’arracher le plus de sorciers possible à l’enfer. En ramenant à Dieu, par miracle, des hommes qui se sont offerts à Satan, elle prévient les sortilèges qu’ils auraient pu lancer. Elle contribue ainsi à réduire leur influence.
  • Jésus-Christ la guide dans les voies mystiques pour qu’elle ne se fourvoie pas ni ne s’effraye devant les épreuves. Il lui demande de vivre avec lui sa Passion (ibid., III, 8). Elle ne regimbe pas devant l’effort héroïque demandé, mais renonce pour l’amour de Dieu à toutes choses sensibles comme intellectuelles, s’étant dépouillée de tout pour s’attacher à Dieu seul (ibid., IV, 8). Pendant douze années, à partir de la mi-carême 1621, elle sera travaillée par sept sortes de fièvres figurant les sept péchés capitaux. De nombreux témoignages relatent également la stigmatisation de Marie des Vallées. Marie achevait, en sa chair, ce qui manquait des souffrances du Christ, pour son corps qui est l’Église (cf. Col 1,24).
  • Les visions et les paroles de Jésus que rapporte Marie des Vallées sont cohérentes et en accord avec les dogmes de l’Église catholique. Les divagations d’un esprit malade ne présenteraient pas les mêmes caractéristiques.

Synthèse :

C’est dans un village de Basse-Normandie, Saint-Sauveur-Lendelin, de parents pauvres, Julien et Jacqueline des Vallées, que naît Marie des Vallées. La même année, en 1604, son père et son frère Nicolas meurent. Sa sœur aînée avait déjà quitté ce monde quelques années auparavant, laissant quatre enfants et un mari, Gilles Capelain, qui épouse sa belle-mère un an après. Deux garçons naissent de cette étrange union, qui mourront très jeunes. La mère de Marie meurt deux ans plus tard, victime des mauvais traitements infligés par un mari alcoolique, grossier et violent. Marie a alors dix-sept ans. Pour échapper aux avances de son beau-père, elle se réfugie auprès d’un oncle, qui la place chez le sieur de la Morinière. Malheureusement, le ménage mène une vie de débauche. Marie les quitte pour se réfugier chez sa tante. Elle demeure ensuite en plusieurs maisons, en qualité de servante.

Le 2 mai 1609, un prétendant éconduit – car Marie avait pris le ferme propos de se consacrer à Dieu – fait appel à une sorcière, qui lui jette un sort. Cinq années s’ensuivront de tourments physiques et de souffrances de l’âme, car au premier charme se sont ajoutées au fil du temps les attaques des sorciers qui multiplient les maléfices. En 1614, sa chambre est envahie par des démons hurleurs et vociférants. Marie les chasse avec des signes de croix et de l’eau bénite. Peu à peu, les charmes décroissent, mais la possession demeure, malgré les exorcismes réguliers. Soupçonnée d’être une sorcière, elle est déférée en 1614 au Parlement de Normandie. Relaxée, elle regagne Coutances.

Quand Marie est conduite, le 18 novembre 1616, de manière intellectuelle, en enfer, elle découvre quelles en sont les peines. Plusieurs années de suite, Marie subit intellectuellement les tourments de l’enfer, avec quelques interruptions qui lui permettent de reprendre des forces.

La première des peines infernales, confie-t-elle à saint Jean Eudes, c’est l’ire de Dieu : les damnés souffrent comme le plus grand des tourments de se savoir objets du courroux divin (La Vie admirable de Marie des Vallées, II, 3). Comprenons bien ce dont il s’agit : ce supplice qu’ils éprouvent vient de ce qu’ils savent que Dieu a voulu les sauver en mourant sur la Croix pour eux, d’une part, puis en les assistant par les sacrements, ses grâces et ses inspirations tout au long de leur vie, d’autre part, mais qu’ils sont morts en rejetant les bienfaits divins. Le courroux qu’ils voient en Dieu est le jugement par lequel Dieu, qui ne violente pas la liberté humaine, accepte leur choix. L’amour est toujours libre : Dieu invite les hommes en les prévenant continuellement de ses bontés, mais il ne contraint personne à les agréer. Parce que cette colère divine est le fruit de leurs dispositions et non de celle de Dieu, elle est plus à prendre de leur point de vue que de celui de Dieu. C’est pourquoi Marie estime que les damnés envisagent toutes choses à travers ce prisme : « Les bienheureux, écrit saint Jean Eudes, voyant en Dieu comme dans un miroir immense toutes les créatures qui contribuent toutes à leur félicité, les damnés voient aussi en Dieu comme dans un miroir toutes les choses créées qui sont toutes en fureur contre eux » (ibid). Puis le saint rapporte les paroles de la voyante : « Tous ceux qui sont en enfer, dit-elle, sont aussi animés de l’ire de Dieu les uns contre les autres, de sorte qu’ils sont remplis d’une haine et d’une fureur implacable qui les rend bourreaux les uns aux autres et qui les porte à se maudire continuellement, à se déchirer et à se torturer les uns les autres. Cette même ire de Dieu les anime contre eux-mêmes : elle anime les sens contre l’esprit et l’esprit contre les sens ; ce qui les rend furieux et enragés contre eux-mêmes et fait qu’ils se haïssent, de telle sorte qu’ils sont insupportables à eux-mêmes et qu’ils s’écraseraient et s’anéantiraient s’il était en leur pouvoir. Les misérables damnés sont toujours vivants et immortels. Tant plus ils sont damnés, tant plus ils sont vivants, parce qu’ils sont davantage animés de l’ire de Dieu qui est l’âme des damnés » (ibid.). Et Marie conclut que pour comprendre le tourment des damnés, il faudrait pouvoir saisir ce qu’est l’ire de Dieu, c’est-à-dire le sentiment terrible de savoir qu’on est séparé définitivement de Dieu, qui est le Bien et donc la Fin de tout homme. Or, le psaume dit combien cette connaissance échappe à l’esprit humain (Ps 89,11).

La deuxième peine des damnés est la vue de l’état effroyable de leur esprit : ils ont livré leur intelligence, créée pour connaître Dieu, aux bas instincts de l’appétit humain, pour calculer leurs propres bénéfices et ruser pour tromper les autres hommes. La volonté que Dieu leur a donnée pour l’aimer et à laquelle les passions sensibles sont appelées à être soumises, les damnés ne s’en sont servis que pour convoiter les biens matériels, le pouvoir et la vaine gloire, et substituent ainsi la haine à l’amour. Remords, donc, des damnés qui n’ont pas utilisé les dons divins à bon escient mais pour faire le mal.

Le désespoir, on l’imagine aisément, ne peut que suivre : c’est la troisième peine des damnés. Désespoir « de ce que les damnés voient que Dieu est éternel et que son ire demeurera éternellement sur eux et que tous leurs autres tourments dureront autant qu’il sera Dieu et par conséquent qu’ils ne finiront jamais. C’est ce qui les fait désespérer et enrager au dernier point. » Ce désespoir est effroyable parce que sans fin. Le désespoir est, dit Marie, « le roi de l’enfer » parce qu’il « est comme un résultat, un composé et un consommé de tous les autres. C’est le père et la source de tous les blasphèmes de l’enfer » (ibid.)

Comment éviter l’enfer ? Comment combattre Satan ? C’est la demande que fait un jour Marie à Jésus-Christ : « Donnez-moi des armes offensives et défensives pour combattre le monstre et pour le faire mourir. » La réponse vient aussitôt : elle se voit armée d’une pertuisane dont la pointe double est d’or comme la poignée, tandis que la hampe est de fer. Le manche de fer figure les tribulations de Marie, maniées par l’intermédiaire de la poignée d’or, c’est-à-dire de l’amour divin, car c’est par le moyen de l’amour de Dieu et pour prouver à Dieu qu’on l’aime qu’on respecte ici-bas ses commandements et qu’on supporte avec patience les tourments de cette vie.

En réponse à l’offrande à Dieu qu’elle fait d’elle-même, en 1616 – « Je renonce de tout mon cœur à ma propre volonté et me donne à la très adorable volonté de mon Dieu afin qu’elle me possède si parfaitement que je ne l’offense jamais » –, un jour Jésus lui confia : « Ceux qui me donnent leur cœur pour y faire ma demeure, je leur donne le mien pour y faire la leur. Ceux qui se donnent à moi, je me donne à eux. Ceux qui me donnent leur volonté, je leur donne la mienne, mais il y en a très peu qui me la donnent» Quels sont donc les fruits de l’abnégation ? La force divine, la grâce et la joie, qui chantent la sainteté divine aux hommes en lesquels Dieu est honoré (ibid., IV, 10).

Depuis sa mort survenue le 25 février 1656 – et comme déjà à la fin de sa vie à Coutances – Marie des Vallées invite à sa suite ceux qui ne méprisent pas le message du Cœur de son Maître, dont elle est le porte-parole.

Docteur en philosophie, Vincent-Marie Thomas est prêtre.


Aller plus loin :

Émile Dermenghem, La Vie admirable et les révélations de Marie des Vallées, Plon, 1926.


En savoir plus :

  • Marikka Devoucoux, L’Œuvre de Dieu en Marie des Vallées, François-Xavier de Guibert / ŒIL, 2000.
  • Saint Jean Eudes, La Vie admirable de Marie des Vallées et des choses prodigieuses qui se sont passées enelle (extraits) suivi des Conseils d’une grande servante de Dieu, éditions Arfuyen, collection « Les carnets spirituels », 2013, sous le titre Le Jardin de l’amour divin. Le manuscrit complet de La Vie admirable compte plus de mille pages. Saint Jean Eudes, qui connaît Marie des Vallées depuis 1641, le rédige en 1655. C’est par une copie de ce manuscrit original, conservée aux archives des Eudistes, à Paris, qu’il est connu. Un abrégé, manuscrit rédigé préalablement par saint Jean Eudes en 1653, dont la copie est disponible en ligne, se trouve aussi à la Bibliothèque Nationale.
  • Émile Georges, Saint Jean Eudes, Paris, Lethielleux, 1925, 540 p. Le chapitre VIII intitulé « Saint Jean Eudes et Marie des Vallées », p. 300-339, touche notre sujet. En ligne.
  • Irmgard Hausmann, Marie Des Vallées : âme expiatrice pour le temps de la conversion générale, Résiac, 1992.
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