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Les mystiques
n°448

Ville-Marie (Montréal)

1662 – 1714

Jeanne Le Ber, la recluse de Ville-Marie

Le 3 octobre 1714, Jeanne Le Ber, qu’on appelait « l’ange de Ville-Marie », meurt paisiblement dans son ermitage. L’ouverture de son procès diocésain s’est tenu le 17 mai 2023 à la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours de Montréal. La servante de Dieu a tout quitté pour posséder la « perle fine » de l’Évangile, contribuant comme pierre vivante à la construction de l’édifice spirituel de la Nouvelle-France. Sa ferme volonté de vivre en réclusion pendant près de trente-cinq ans et de porter dans sa prière les intentions de ses compatriotes s’est maintenue toute sa vie. On peut dire qu’elle est la fine fleur de l’épopée mystique de la fondation de Montréal.

Entrée en réclusion de Jeanne Le Ber, peinture de Bottoni, 1908. / © 1662jeanne, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons.
Entrée en réclusion de Jeanne Le Ber, peinture de Bottoni, 1908. / © 1662jeanne, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons.

Les raisons d'y croire :

  • Le sulpicien François Vachon de Belmont consacre à Jeanne Le Ber une première biographie peu de temps après sa mort, en 1714. Ce texte de base va inspirer les biographies à venir, comme celles d’Étienne Mongolfier, qui fait paraître vers 1780 La Vie de la vénérable sœur Jeanne Le Ber, et de Michel-Étienne Faillon, qui, en 1860, publie L’Héroïne chrétienne du Canada ou Vie de Mlle Le Ber. L’authenticité et la valeur de ces documents historiques témoignent de la sainteté de la recluse. Nous comptons à ce jour une douzaine de biographies sur sa vie et sa spiritualité.
  • La vie recluse de Jeanne Le Ber montre que cette voie de solitude peut mener à une rencontre du Christ. En effet, Jeanne passe trente-cinq ans dans un minuscule appartement sans confort, consacrant la majorité de son temps à la prière. Elle choisit librement de vivre ainsi, non pas parce qu’elle a un problème psychologique ou social, mais parce qu’elle a la compagnie réelle et vivante de Jésus. Elle en témoigne d’ailleurs elle-même, devant les personnes qui viennent la rencontrer : « Une pierre d’aimant m’a attirée ici et me retient. […] Ma pierre d’aimant, c’est notre Seigneur, réellement présent dans le saint sacrement. »

  • Sans physiquement sortir de sa cellule, la recluse parvient à accomplir beaucoup de bien. Venant d’une famille riche, Jeanne Le Ber a beaucoup partagé avec les pauvres et les communautés religieuses. Elle a reçu une dot importante de son père, qu’elle a su faire fructifier. Elle ne gardait rien pour elle-même, mais donnait tout aux besoins de la colonie. Par son grand amour de l’Église, elle a répondu aux besoins apostoliques et matériels de la colonie.
  • La recluse mystique a laissé un puissant témoignage de foi aux gens de Ville-Marie. Ils savaient qu’elle priait pour eux et qu’elle était attentive à leurs besoins. À deux reprises, en 1690 et en 1711, les citoyens ont été menacés par les Anglais, qui avaient préparé une flotte sur le fleuve Saint-Laurent pour attaquer la colonie et s’en emparer. Jeanne a prié pour que la Nouvelle-France soit sauvée. Une puissante tempête a dévasté cette flotte. On a attribué cette victoire à la prière de Jeanne.

Synthèse :

Jeanne naît à Ville-Marie (Montréal), le 4 janvier 1662, du riche marchand Jacques Le Ber et de Jeanne Le Moyne. Elle et ses quatre frères sont de la première génération d’origine française née à Montréal. Filleule de Paul de Chomedey de Maisonneuve et de Jeanne Mance, elle fréquente dès l’âge de six ans l’école des sœurs de sainte Marguerite Bourgeoys, où elle apprend à lire, écrire et compter.

En 1674, elle fait sa première communion. Elle étudie chez les Ursulines, à Québec, soit deux ans après la mort de sainte Marie de l’Incarnation. Les sœurs témoignent qu’elle est chaleureuse, pieuse et déterminée. Elle exprime clairement ses choix, comme ne porter que des vêtements simples. Joyeuse de nature, elle n’est pas du tout attirée par les mondanités.

L’adolescente se distingue surtout par son amour de l’Eucharistie et son attrait pour le silence et la solitude. Elle se retire souvent pour prier, ne voulant faire qu’un avec Jésus. En 1677, elle prononce à quinze ans une promesse de virginité en présence de son directeur spirituel, le sulpicien François Seguenot, homme équilibré et spécialiste de l’oraison.

Sa famille pense la marier, mais Jeanne désire mener une vie de réclusion, sans pour autant entrer dans une communauté religieuse. À dix-huit ans, ses parents l’autorisent à vivre recluse dans une chambre de la maison, un peu à l’exemple de sainte Catherine de Sienne et de sainte Rose de Lima. Elle ne quitte sa chambre que pour aller à la messe, le matin. En 1685, après cinq ans d’expérience comme recluse, les autorités religieuses de l’époque lui permettent de faire un vœu perpétuel de chasteté et de réclusion.

Son père lui donne une dot considérable, qu’elle va gérer en subvenant aux besoins de la colonie. En 1695, elle remet une large somme à la congrégation de Notre-Dame pour ériger une église consacrée au saint sacrement, à condition qu’elle puisse avoir une cellule derrière l’autel, où elle vivra le reste de ses jours.

Le 5 août 1695, après quinze ans de réclusion chez ses parents, on célèbre son entrée officielle dans le petit appartement de la chapelle de la congrégation, sous la direction du supérieur sulpicien et du vicaire général. Elle y mène une vie de prières et de jeûne, s’adonnant à l’adoration du saint sacrement et à l’art de la broderie. Elle contribue à l’essor de l’adoration perpétuelle et à la construction d’un pensionnat pour l’éducation des filles, laissant un système de bourses d’études pour les élèves plus pauvres, ce qui est totalement nouveau à l’époque.

Elle fuit l’oisiveté en méditant la parole de Dieu, en cousant pour les pauvres et en produisant de magnifiques broderies, où s’exprime sa foi profonde. Elle accueille aussi des personnes qui ont recours à ses conseils, avec l’accord de son directeur spirituel, qui la rencontre chaque semaine. Elle ne cherche pas à être vue, même si elle est reconnue pour son bon jugement, tant dans les affaires spirituelles que financières.

L’essentiel de la vie de réclusion de Jeanne se résume en quatre points : fidélité à son règlement de vie et à son directeur spirituel ; observation de la pauvreté et de l’humilité ; pratique de l’oraison, de l’aumône et de la broderie ; dévotion à Jésus-Hostie, à la Sainte Vierge et aux anges.

Un jour de juin 1698, deux Anglais sont de passage à Montréal. Ils ont entendu parler de la sainteté de la recluse, âgée de trente-six ans. Ils veulent la rencontrer dans sa solitude, d’autant plus qu’ils connaissent sa famille. Ils demandent à Mgr de Saint-Vallier, successeur de François de Laval, d’y aller avec eux. Les deux visiteurs sont stupéfaits de la voir dans un si petit appartement, attenant à la chapelle de la congrégation de Notre-Dame. Elle ne porte pas le voile, comme les sœurs en communauté, mais est coiffée d’un simple bonnet. Vêtue modestement d’une robe de grosse toile grise, elle est chaussée de sandales qu’elle a fabriquées avec des feuilles de blé d’Inde (nom canadien du maïs). Son lit est une sorte de paillasse, sans matelas ni drap, avec un oreiller de paille.

L’un des Anglais, un pasteur protestant, lui demande comment elle fait pour demeurer dans de si misérables conditions, alors qu’elle pourrait vivre confortablement dans le monde. Elle lui répond : « Une pierre d’aimant m’a attirée ici et me retient. » « Quel est cet aimant ? », lui demande-t-il. Elle ouvre la petite fenêtre, par où elle reçoit la communion, elle se prosterne vers l’autel en regardant le tabernacle, puis elle répond : « Voilà ma pierre d’aimant, notre Seigneur, réellement présent dans le saint sacrement. » Elle leur parle de ce grand mystère avec tellement de ferveur qu’ils s’en retournent dans leur pays aimantés à leur tour par ce qu’ils ont vu. On dit que le pasteur fut tellement impressionné par les vertus de Jeanne qu’il se convertit au catholicisme.

La discrète recluse n’a laissé aucun texte écrit de sa main, sauf deux prières qui témoignent de sa grande dévotion à la Vierge Marie. Aujourd’hui, nous n’avons comme écrits que sa signature au bas de ses actes notariés, et ses broderies. Témoignage précieux d’une femme pratique et mystique qui a tout donné pour répondre à l’appel d’un amour absolu.

Atteinte d’une pneumonie, Jeanne entre dans la vie éternelle le 3 octobre 1714, à l’âge de cinquante-deux ans, après presque trente-cinq ans de réclusion. La population accourt à ses funérailles pour lui rendre un dernier hommage et surtout prier « la sainte » qui a rejoint Jésus, l’amour de sa vie. Ses restes mortels, authentifiés par les experts en 1991, sont déposés depuis 2005 dans une niche murale de la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, à Montréal, à côté des restes de son amie, sainte Marguerite Bourgeoys.

Jacques Gauthier est membre de la commission historique de la cause de Jeanne Le Ber. Auteur et théologien, il a écrit plus de quatre-vingts livres, dont une cinquantaine en spiritualité. Il tient un blogue et une chaîne YouTube sur la foi chrétienne.


Au-delà des raisons d'y croire :

Il y a de ces fidélités qui sont de purs dons de l’amour de Dieu. Jeanne Le Ber en témoigne hautement. Laïque et libre, solitaire et solidaire, humble et disciplinée, elle a approfondi sa vocation de recluse en soutenant la Nouvelle-France par son amour et sa prière. Elle a trouvé l’unité de son être dans l’adoration du saint sacrement. L’exemple de sa vie de prière demeure une prédication permanente pour l’Église et le monde.

Prophète pour notre temps, la vie donnée de Jeanne Le Ber comme laïque peut inspirer les chercheurs de Dieu en quête de joie et de simplicité. Elle reste proche des personnes pour qui la solitude est choisie ou imposée. Sa vie nous rappelle que cette voie de solitude peut mener à une rencontre du Christ.


Aller plus loin :

Georges Bellemare, La Recluse mystique deMontréal Jeanne Le Ber, Montréal, Congrégation du Très-Saint-Sacrement, 2024.


En savoir plus :

  • Jacques Gauthier, « Qui est la recluse Jeanne Le Ber ? (1662 – 1714) ».
  • Jacques Gauthier, Jeanne Le Ber et sa pierre d’aimant, revue L’Oratoire, Montréal, septembre-décembre 2023, p. 4-6.
  • Jean-Marc Laporte, Jeanne Le Ber, recluse mystérieuse à mieux connaître, En Son Nom 81, 2023, p. 99-108.
  • Françoise Deroy-Pineau, Jeanne Le Ber, la recluse au cœur des combats, Montréal, Bellarmin, 2000.
  • Thérèse Simard, Jeanne Le Ber, un itinéraire, Montréal, Novalis, 2014.
  • Sous la direction de M. Diego Arfuch, Montréal, une épopée mystique, Novalis, 2020.
  • Articles et vidéos sur Jeanne Le Ber : site Internet Les Recluses Missionnaires.
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