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Les moines
n°440

Russie et le mont Athos (Grèce)

1866 – 1938

La prière perpétuelle de Silouane de l’Athos

La jeunesse de Syméon Ivanovich Antonov est une lutte entre son amour pour Dieu et de violentes tentations contre la foi qui le mettent à deux doigts de l’athéisme. Vers vingt ans, alors qu’il mène une vie dissolue, un songe lui révèle combien ses péchés ont affligé la Vierge Marie. Syméon décide d’entrer au monastère sur le mont Athos (Grèce), qui abrite alors une gigantesque communauté de deux mille religieux russophones. Il prend le nom de Silouane et, en dépit de terribles combats spirituels, y persévère jusqu’à sa mort, le 24 septembre 1938, priant sans cesse pour le salut des hommes, en particulier ceux qui rejettent Dieu.

© Shutterstock/Maxssyd
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Les raisons d'y croire :

  • Syméon éprouve dès son enfance une attirance spontanée pour les choses de Dieu – attirance qui se développe en suivant le modèle de son père, Ivan Antonov, pauvre moujik illettré mais d’une piété telle qu’elle lui permet de pénétrer les mystères divins mieux que des clercs très savants.
  • Cependant, comme souvent, la grande piété précoce de Syméon, qui laisse deviner un éventuel futur saint est farouchement combattue par le diable, qui fera tout afin de détourner le garçon des chemins du salut. Pendant des années, la tentation de l’athéisme le tenaillera.
  • En 1885, alors que, sous l’influence de mauvaises relations, il est près d’abandonner la foi, il entend parler de miracles accomplis sur la tombe d’un saint homme. Après en avoir vérifié l’authenticité, Syméon arrive à cette conclusion : « Si ce défunt fait des miracles, c’est que les miracles existent et, si les miracles existent, Dieu aussi. » Dès lors, il retrouve la foi et décide d’entrer au monastère russe de l’Athos, en Grèce.

  • Mais son père lui conseille de différer jusqu’à la fin de son service militaire cette résolution qui l’inquiète, eu égard au tempérament de son fils. En apparence raisonnable, cette décision va entraîner le jeune homme dans une spirale de péchés. Ses camarades de régiment le poussent à boire et à jouer, l’entraînent dans des bagarres et le poussent même un jour dans le lit d’une prostituée, alors qu’il s’était promis de demeurer chaste en vue de la vie monastique. C’est au cœur de cette vie dissolue, vers 1890, que Syméon fait un rêve.
  • Il rêve d’avoir avalé un énorme et répugnant serpent rouge qui tentait de sortir par sa bouche. Il entend soudain distinctement une voix féminine, dont il sait tout de suite qu’elle est celle de la Vierge Marie, lui donner la clef de ce songe : « Tu n’aimes pas ce que tu as vu, mais moi, je n’aime pas voir ce que tu fais… » Syméon comprend que Notre Dame est venue lui révéler la gravité de ses péchés, qui risquent de le placer à jamais sous l’emprise du démon. Dès lors, il décide de changer radicalement de vie.

  • Il faut au moins cette intervention mariale pour l’arracher à ses mauvais penchants. Sa conversion sera définitive, preuve qu’il a bien reçu une aide céleste. En 1892, il entre au monastère Saint-Pantéleimon, sur le mont Athos, qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort, en 1938. Il prend en religion le nom de Silouane, du nom d’une vallée près de Jérusalem, lieu d’un miracle de l’Évangile.
  • Si l’on considère les continuelles tentations dont il sera obsédé pendant plus de quinze ans, seul le soutien divin explique comment le jeune moine a tenu bon. Il le dit lui-même, c’est grâce aux consolations divines obtenues au tout début de sa vie monastique qu’il trouvera la force d’affronter les épreuves et les ténèbres. Il confiera à son disciple Sophrony : « Si le Seigneur ne m’avait fait connaître au commencement de quel amour il aime les hommes, je n’aurais pu supporter une seule de ces nuits de l’âme, et j’en ai vécu une multitude. » Il s’agit bien d’une authentique expérience mystique.

  • Tenté par l’orgueil, il prie sans relâche pour demeurer humble. Peu à peu, la prière lui devient aussi naturelle que la respiration. Tout en remplissant les diverses tâches confiées par ses supérieurs, Silouane est sans cesse en présence de Dieu et découvre la vocation qui est la sienne, à savoir prier constamment pour tous les hommes, à commencer par les non-chrétiens, les athées et les ennemis de Dieu. Un tel effort et une telle constance ne relèvent pas de la volonté humaine.
  • Sans jamais quitter son monastère, il va, pendant des décennies, porter le monde et l’humanité dans sa prière devant Dieu. Il dit : « Qui a l’amour du Christ prie pour tous les hommes ; il a pitié de ceux qui ne connaissent pas Dieu et prie pour leur conversion ; si l’Esprit habite en lui, il pleure pour les péchés de tous les hommes. » Ainsi vit-il parfaitement la communion des saints.

Synthèse :

Syméon Ivanovich Antonov naît en 1866 à Chovskoïé, près de Tambov, dans le centre de la Russie, au sein d’une famille simple et pieuse. Il dira plus tard : « Je ne suis pas parvenu à la mesure de mon père ; j’aurais aimé avoir un starets [un ancien susceptible de guider les débutants dans les voies de la perfection religieuse]tel que lui… » En 1870, alors qu’il a quatre ans, Syméon est bouleversé en entendant un voyageur accueilli à la table familiale nier l’existence de Dieu. La réaction de Syméon est de se faire cette promesse : « Quand je serai grand, j’irai chercher Dieu ! » Toute la jeunesse de Syméon Antonov est une lutte entre son amour pour Dieu et de violentes tentations contre la foi qui le mettent à deux doigts de l’athéisme.

Vers vingt ans, il boit, se querelle, déclenche des bagarres, laissant un jour son adversaire sur le carreau, estropié pour des mois, et finit par manquer à la promesse qu’il s’était faite de demeurer chaste. Un songe, au cours duquel il entend la Vierge Marie lui reprocher ses fautes et lui révéler qu’il va tomber au pouvoir de Satan, le pousse à changer de vie – décision renforcée à la suite d’une visite qu’il rend à Jean de Cronstadt, qui deviendra l’un des très grands saints de l’orthodoxie. À vingt-six ans, Syméon entre au monastère russe de l’Athos, où il prend le nom de Silouane et où il demeure jusqu’à sa mort.

Silouane fait de très grands progrès dans la vie spirituelle et la prière, mais il rencontre alors une nouvelle forme de tentation. Son directeur de conscience s’étant étonné de ses progrès et ayant loué sa vertu, le jeune moine est tenté par le démon de l’orgueil, ce qui le détourne de l’union à Dieu et de la vraie prière, car il commence à s’attribuer à lui-même les mérites donnés par l’intermédiaire du Saint-Esprit. Là encore, il s’agit d’une épreuve bien identifiée dans le parcours de la vie spirituelle et déjà décrite dès le IVe siècle par les premiers moines, les Pères du désert.

Conscient de son péché d’orgueil et de ses conséquences, Silouane prie ardemment le Christ de le libérer de sa faute. Commence alors entre eux ce dialogue : « Je tâche de te prier avec un esprit pur, mais les démons m’en empêchent ! — Oui, car les orgueilleux ont toujours à souffrir du démon. — Enseigne-moi comment devenir humble… — Tiens ton esprit en enfer et ne désespère pas. » Dès lors, des années durant, Silouane va vivre dans l’illusion d’être coupé de l’amour divin, mais sans jamais rien relâcher de sa prière. Son expérience rappelle celle de Thérèse de Lisieux, sa contemporaine.

Quand il réussit à en triompher avec l’aide divine, il comprend que sa vocation propre est de prier jour et nuit pour le salut des hommes, et d’abord de ceux qui rejettent Dieu. Après la Révolution de 1917, il aura ce mot, résumant sa vision du combat eschatologique entamé entre le bien et le mal : « Si la prière cessait, le monde périrait. Il ne tient plus que par la prière. » Il meurt dans son monastère le 24 septembre 1938. Ses derniers mots sont : « Je n’ai pas encore atteint l’humilité ! » Le patriarcat de Constantinople le canonise en 1987.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin :

  • Archimandrite Sophrony, Saint Silouane l’Athonite, vie, doctrine, écrits, Le Cerf, 2010. Également disponible en anglais.

En savoir plus :

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