Synthèse :
Cas unique dans toute l’histoire du monde, la venue d’un Messie Sauveur était attendue en Israël, en raison de nombreuses prophéties reçues par une longue série d’hommes, pendant des siècles.
Le Messie était spécialement attendu au début de notre ère, au temps de la Vierge Marie, parce que certaines prophéties parlaient explicitement et précisément du moment de sa venue.
L’Évangile témoigne de la prégnance de cette attente toute spéciale qui s’était emparée de tous. « Comme le peuple était dans l’attente » (Lc 3,15) quand Jean-Baptiste parut, tous lui demandaient : « Es-tu Celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » (Lc 7,19). C’était une situation absolument unique et cet aspect caractéristique du christianisme, à lui seul, est suffisant – c’est l’avis de maints spécialistes – pour le situer tout à fait à part dans l’histoire religieuse du monde.
L’attente de l’accomplissement des temps était devenue tellement forte et précise, en cette période particulière de l’histoire, qu’il y eut plus de cent candidats Messies recensés par les historiens. Gamaliel y fait référence dans son intervention en faveur des apôtres devant le Sanhédrin : « Vous, Israélites, prenez garde à ce que vous allez faire à ces gens-là. Il y a un certain temps, se leva Theudas qui prétendait être quelqu’un, et à qui se rallièrent quatre cents hommes environ ; il a été supprimé, et tous ses partisans ont été mis en déroute et réduits à rien. Après lui, à l’époque du recensement, se leva Judas le Galiléen qui a entraîné beaucoup de monde derrière lui. Il a péri lui aussi, et tous ses partisans ont été dispersés. Eh bien, dans la circonstance présente, je vous le dis : ne vous occupez plus de ces gens-là, laissez-les. En effet, si leur résolution ou leur entreprise vient des hommes, elle tombera. Mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez pas les faire tomber. Ne risquez donc pas de vous trouver en guerre contre Dieu » (Ac 5,34-40).
La raison de cette attente du peuple est à chercher dans cinq grandes prophéties qui désignaient précisément le temps de la venue du Messie :
1. La première de ces prophéties évoquant le moment de la venue du Messie se trouve dans la Genèse, quand Jacob, né d’Isaac, bénit ses fils avant de mourir. « Rassemblez-vous pour que je vous annonce ce qui vous arrivera dans l’avenir » (Gn 49,1-10), avant de poursuivre : « Le sceptre ne s’écartera pas de Juda, ni le bâton de commandement d’entre ses pieds jusqu’à ce que vienne celui auquel il appartient et à qui les peuples doivent obéissance. »
Ce passage, qui a toujours été entendu par les exégètes d’Israël en un sens messianique, prend une actualité nouvelle au temps de la Vierge, après qu’Hérode Ier a été nommé roi de Judée en mettant fin à la dynastie hasmonéenne juive. Les juifs d’Israël seront désormais régis par un roi édomite, fils d’une nabatéenne issue d’une tribu arabe, et ami des Romains, même s’il est officiellement converti au judaïsme. La Judée devient alors une province vassale de Rome et le restera jusqu’à la destruction de Jérusalem en 70 après Jésus-Christ.
Quand Octave confirme à Hérode Ier le titre de roi de Judée, de Samarie, d’Idumée et de Galilée en lui offrant aussi le plateau du Golan et les villes côtières de la Méditerranée qu’il avait dû rendre à Cléopâtre précédemment, Jérusalem est secouée par un tremblement de terre qui fait dix mille victimes. Avec l’avènement d’Hérode Ier, l’autorité passe aux Romains : le signe messianique s’accomplit, puisque le sceptre s’éloigne définitivement de Juda.
De fait, les juifs pourront maintenant répondre très justement à Pilate, lors du procès du Christ : « Nous n’avons pas d’autre roi que César » (Jn 19,15).
2. La seconde prophétietrès importante évoquant le moment de la venue du Messie se trouve dans un des derniers livres de l’Ancien Testament, celui de Daniel, qui, au temps de la Vierge, était composé et lu dans sa forme actuelle depuis déjà deux siècles. Le chapitre 2 rapporte le songe de Nabuchodonosor dans lequel le roi voit une petite pierre qui brise une grande statue d’or, d’argent, de bronze, de fer et d’argile mêlés. Troublé, le roi ne parvient plus à trouver le sommeil jusqu’à ce que Daniel lui donne la juste interprétation : « Après toi se dressera un autre royaume, inférieur à toi, et un troisième royaume ensuite, de bronze, qui dominera la terre entière. Et il y aura un quatrième royaume, dur comme le fer […], il réduira en poudre et brisera tous ceux-là […]. Il sera divisé, partie fer, partie argile […]. Au temps de ces rois, le Dieu du Ciel dressera un royaume qui jamais ne sera détruit, et ce royaume ne passera pas à un autre peuple. Il écrasera et anéantira tous ces royaumes, et lui-même subsistera à jamais […]. Le Grand Dieu a fait connaître au roi ce qui doit arriver. Tel est véritablement le songe, et sûre en est l’interprétation » (Dn 2,39-45).
Or, après Nabuchodonosor sont venus les Perses aidés par les Mèdes, puis les Grecs, qui ont dominé toute la terre avec Alexandre, puis les Romains qui, par le fer, ont réduit en poussière tous leurs adversaires, avant qu’Israël ne soit au Ier siècle divisé entre le fer de Rome et l’argile d’Hérode. Rome est donc le fameux « quatrième royaume après Nabuchodonosor » (Dn 2,39) au cours duquel la pierre qui brise la statue doit devenir une grande montagne qui remplira toute la terre. L’humble Vierge du Seigneur pouvait peut-être imaginer la modestie des débuts du règne messianique qui « jamais ne sera détruit et subsistera éternellement » (Dn 2,44) en méditant comme Blaise Pascal qui écrivait, en considérant la prophétie de la petite pierre qui devient montagne : « Il est prédit que Jésus-Christ serait petit en son commencement et qu’il croîtrait ensuite » (Pensées, 310).
3. La troisième grande prophétie indiquant le temps de la venue du Messie vient aussi de Daniel qui indiqua de manière très étonnante qu’il y aurait « 70 septénaires » avant son avènement. Ce fameux passage du chapitre 9 de Daniel prophétise ainsi : « Sont fixés 70 septénaires pour ton peuple et ta ville sainte, pour faire cesser la perversité et mettre un terme au péché, absoudre la faute et amener la justice éternelle, pour sceller vision et prophétie et pour oindre le Saint des Saints » (Dn 9,24). Le monde nouveau (l’iniquité qui cesse et est expiée, le péché qui est « mis sous scellés », la justice éternelle qui règne) adviendra donc quand le Christ aura « reçu l’onction ». Alors prendront fin les visions des prophètes mêmes. Et tout cela se produira après « 70 septénaires ».
Cette indication temporelle, la seule de tout l’Ancien Testament, n’a jamais suscité de polémiques excessives parmi les interprètes. Il est clair qu’il s’agit de septénaires, c’est-à-dire de périodes de sept, et l’on compte a priori en années ; la prophétie désigne donc la venue du Messie au bout de 490 années. Mais à partir de quand doit-on commencer à les compter ? « Depuis le surgissement d’une parole en vue de la reconstruction de Jérusalem » après l’exil à Babylone, selon le texte biblique (Dn 9,23). Certains calculaient à partir du décret d’Artaxerxès, en 458 avant Jésus-Christ, d’autres à partir de la première mission de Néhémie, en 445, d’autres à partir de Cyrus, en 538, dès la libération d’Israël, certains en années solaires, d’autres en années lunaires. Les parchemins du Ier siècle avant notre ère découverts à Qumrân montrent que la communauté qui vivait là-bas se préoccupait beaucoup des signes des temps et qu’ils s’appuyaient aussi sur la prophétie des « 70 septénaires ». Ils avaient calculé que les temps du Messie devaient commencer en 26 av. J.-C. et c’est à cause de cette attente qu’ils se retiraient au désert. Il y avait encore une petite « erreur » de vingt ans dans leur calcul, mais, comme le dit Hugh Schonfield, « nous voyons bien aujourd’hui à quel point – presque à la lettre – Jésus pouvait proclamer en inaugurant sa mission : "Les temps sont accomplis et le royaume de Dieu est proche" » (Mc 1,15).
La prophétie parle de soixante-dix septénaires à compter à partir d’une parole pour la reconstruction du Temple, mais elle ne précise pas si ce compte doit être faire en années, en mois, en jours ou autres. À partir de cela, l’interprétation traditionnelle a été de compter des années, mais il est aussi possible d’imaginer qu’il était évoqué les années lunaires dont on se sert dans le calendrier juif. En ce cas, puisque 490 années lunaires représentent 441 années solaires, si l’on compte à partir de 445 av. J.-C., date de la reconstruction des remparts par Néhémie (Ne 2,3-20), on arrive en l’an 4 av. J.-C., qui est effectivement la date exacte de la présentation de Jésus au Temple.
Mais ce n’est pas tout ! Car si l’on compte les soixante-dix septénaires en jours, tout concorde aussi très bien ! En effet, il y a exactement 490 jours entre l’Annonce faite à Zacharie et la Présentation de Jésus au Temple, à laquelle se réfère la prophétie : 6 mois entre l’Annonce à Zacharie et l’Annonce de l’ange à Marie (180 jours), 9 mois de grossesse de Marie (270 jours) et 40 jours avant la Présentation au Temple. Total : 490 jours exactement !
4. Une quatrième prophétie est donnée par le prophète Aggée, qui indique que le Messie devait venir à l’époque du Second Temple, et donc pas après sa destruction en 70. Le prophète se trouvait à Jérusalem au moment de la construction du Second Temple et il a prononcé l’oracle messianique selon lequel « la gloire de ce Temple dépassera celle du premier » (Ag 2,9). Or, le Second Temple n’a plus l’Arche d’Alliance, les Tables de la Loi, le vase de manne (Ex 16,33) et le rameau d’Aaron (cf. Hb 9,4). Comment donc la gloire de ce Second Temple pourrait-elle être, dans ces conditions, plus grande que celle du premier, si prestigieux ? Tout simplement parce que le Second Temple aura l’honneur d’accueillir le Messie. Malachie confirmera cette vision – « Et soudain entrera dans son Temple le Seigneur que vous cherchez – et le messager de l’Alliance, voici qu’il vient » (Ml 3,1) –, ce qui a toujours été compris de manière messianique chez les juifs. Par exemple, un érudit du XIIe siècle, le rabbin David Kimchi, fait référence à ces versets en disant : « Le Seigneur, l’ange de l’Alliance, c’est le Messie » (LRC 2, p. 165). Et la prophétie s’est bien accomplie car, à part la venue du Messie, il est clair qu’il n’y a eu aucun événement historique qui justifie une telle « gloire » du Second Temple.
5. Une cinquième prophétie indique que le Messie sera « Prince de la Paix » (Is 9,5), ce qui a été interprété dans la tradition juive en disant qu’il viendra « quand le monde aura cessé de se battre » (Talmud). Et c’est bien ce qui est arrivé, au temps d’Auguste, avec 25 années de paix, sans aucune guerre : une trêve jamais vue, au cœur de laquelle est effectivement né le Prince de la Paix.
Enfin, il est très étonnant de constater qu’il y avait aussi une attente unique, à cette époque, chez les païens : nous avons des témoignages indubitables et des plus précis sur cette attente universelle d’un « dominateur du monde » qui devait venir de Judée.
Deux des plus grands historiens latins, Tacite et Suétone, nous apprennent ainsi comment les Romains étaient, eux aussi, dans l’attente à l’approche du siècle que, désormais, nous appelons « le premier après Jésus-Christ ».
1. Tacite écrit dans les Historiae : « La plupart étaient persuadés qu’il se trouvait écrit dans les anciens livres des prêtres, que, vers ces temps, l’Orient grandirait en puissance. Et que de Judée viendraient les dominateurs du monde. »
2. Suétone, de même, écrit dans la Vie de Vespasien : « Par tout l’Orient, une idée gagnait les esprits : l’opinion constante et fort ancienne selon laquelle il devait être écrit dans le destin du monde que de la Judée viendraient en ce temps-là les dominateurs du monde. »
Ces deux historiens écrivaient à la fin du Ier siècle et au début du IIe, sans pouvoir connaître le triomphe, encore à venir, de celui qui serait effectivement un jour le « dominateur » du monde occidental.
3. Virgile, de son côté, rapporte l’oracle de la sibylle de Cumes annonçant un « enfant merveilleux, qui apportera l’âge d’or » dans la Quatrième Églogue de ses Bucoliques, en datant précisément l’événement du règne de l’empereur Auguste : « Voici les derniers temps marqués par l’oracle de la sibylle de Cumes : la longue série des siècles recommence. Voici venir la Vierge, et le règne de Saturne. Voici descendre du ciel une race nouvelle. Un enfant nouveau-né sous le règne de l’empereur Auguste éliminera la génération de fer et suscitera par tout le monde une génération d’or. »La Vierge Marie, en qui descendra le Fils de Dieu, ne devait certainement pas connaître cet oracle, mais Jésus, qui est bien né sous le règne de l’empereur Auguste, a effectivement transformé le fer de l’oppression dans l’amour que l’or symbolise.
4. En plusieurs sanctuaires du monde (comme Longpont, Nogent-sous-Coucy, Chartres), on vénérait de manière étonnante, dès avant le Christ, la « Virgini Pariturae », la « Vierge qui doit enfanter ».
5. Autre point stupéfiant, il semble désormais scientifiquement prouvé que les astrologues babyloniens aussi attendaient la naissance du « dominateur du monde » à partir de l’an 7 av. J.-C.
Kepler, un des pères de l’astronomie moderne, observa en décembre 1603 la conjonction très lumineuse (c’est-à-dire la rencontre sur une ligne droite) de Jupiter et de Saturne dans la constellation des Poissons. Grâce à ses calculs, il établit que le même phénomène (qui provoque une lumière intense et éclatante dans le ciel étoilé) devait s’être produit également en 7 av. J.-C. ; il découvrit ensuite un ancien commentaire de l’Écriture, du rabbin Abarbanel, rappelant que, selon une croyance des juifs, le Messie devait apparaître précisément lorsque, dans la constellation des Poissons, la lumière de Jupiter et de Saturne ne ferait plus qu’une. Mais on n’attacha guère d’importance à la découverte de Kepler, parce que la critique n’avait pas encore établi avec certitude que Jésus était né avant la date traditionnelle, suite à l’erreur de Denys le Petit.
Plus de deux siècles après, le savant danois Münter découvre et déchiffre un commentaire hébraïque médiéval des « 70 septénaires » du livre de Daniel qui indique la croyance rappelée par Kepler. En 1902 est publiée ce que l’on appelle la « Table planétaire », aujourd’hui conservée à Berlin : un papyrus égyptien qui porte avec exactitude les mouvements des planètes de l’an 17 av. J.-C. à 10 ap. J.-C., et qui rappelle qu’en 7 av. J.-C., on avait remarqué la conjonction entre Jupiter et Saturne, visible dans son plus bel éclat sur toute l’étendue de la Méditerranée.
En 1925 enfin, on publie une description du calendrier stellaire de Sippar : une tablette en terre cuite avec des inscriptions cunéiformes provenant de l’antique cité de Sippar, sur l’Euphrate, qui était le siège d’une importante école d’astrologie babylonienne. Sur ce « calendrier » sont portés tous les mouvements et conjonctions célestes de l’an 7 av. J.-C. justement. Pourquoi ? Parce que, selon les astrologues babyloniens, cette conjonction – qui ne s’observe qu’une seule fois tous les 794 ans – s’était produite trois fois en l’an 7 av. J.-C. : le 29 mai, le 1er octobre et le 5 décembre (ce qui est tout à fait cohérent avec l’Évangile où « l’étoile » est apparue et réapparaît – cf. Mt 2,2 ; 2,7 ; 2,9). Ils considéraient Jupiter comme la planète des dominateurs du monde, Saturne comme la planète des protecteurs d’Israël et la constellation des Poissons comme le signe de la fin des temps, c’est-à-dire du commencement de l’ère messianique. Il est désormais certain qu’entre le Tigre et l’Euphrate comme dans tout l’Orient, non seulement on attendait un Messie qui devait venir d’Israël, mais l’on avait également établi avec une sûreté stupéfiante qu’il devait naître en un temps et un moment déterminés, à la « plénitude des temps », comme dit saint Paul (Ga 4,4 ; Eph 1,10).
Enfin, même les juifs qui n’ont pas reconnu le Christ témoignent de la précision de cette attente, reconnaissant dans le Talmud à la fin du Ier siècle que « toutes les dates calculées pour la venue du Messie sont désormais passées » (Traité Sanhédrin 97).
C’est donc un fait historique absolument prouvé : il y a, au moment où Jésus apparaît, comme une polarisation universelle de l’attention, le sommet d’une attente jamais vue dans l’histoire du monde, qui se concentre sur une lointaine et petite province romaine.
La date de la venue du Christ a été annoncée et le Christ reprochera à ses contemporains de ne pas le reconnaître : « Le temps où nous sommes, comment ne le reconnaissez-vous pas ? » (Lc 12,56). Dès le début, sa prédication insistera sur ce point : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche, convertissez-vous et croyez à l’Évangile ! » (Mc 1,15), ce qui se réfère bien sûr aux « temps » définis par la prophétie de Daniel et par toutes les autres annonces si extraordinairement précises.