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La profondeur de la spiritualité chrétienne
n°531

France

1859 – 1941

Henri Bergson : « Le mysticisme complet est celui des chrétiens »

Henri Bergson (1859 – 1941) est un philosophe juif français, unanimement reconnu comme l’un des plus grands intellectuels du XXe siècle. Dans un contexte philosophique très marqué par un positivisme anticlérical, il se distingue en voulant étudier le phénomène mystique d’un point de vue strictement rationnel. Rien, chez lui, ne favorise le christianisme, mais en comparant l’expérience mystique des saints avec celle de figures spirituelles d’autres religions, il finit tout de même par conclure : « Le mysticisme complet […] est celui des grands mystiques chrétiens. » Ainsi arrivé au seuil de la conversion, il ne demande toutefois pas le baptême, préférant rester solidaire des Juifs persécutés par le régime nazi, mais sa conviction personnelle est faite en faveur de la vérité du christianisme.

© CC0 pxhere
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Les raisons d'y croire :

  • Bergson est un intellectuel brillant et renommé : quatre fois lauréat du concours général, normalien, titulaire d’un double doctorat en lettres et en philosophie, d’un doctorat honoraire en sciences de l’université d’Oxford et d’un doctorat en lettres de l’université de Cambridge, professeur au Collège de France, membre de l’Académie française, membre de plusieurs académies étrangères (Turin, Suède, États-Unis), prix Nobel de littérature (1928), grand-croix de la Légion d’honneur…
  • Dans les circonstances dans lesquelles il évolue, rien ne le pousse à un jugement favorable sur le christianisme. Il est en effet issu d’une famille juive immigrée, formé à la philosophie dans un contexte largement positiviste et anticlérical, passionné de sciences, et notamment de la théorie de l’évolution, quand celle-ci est encore loin d’être admise par les chrétiens, etc.
  • Dans les premières années de sa célébrité, l’Église lui est même plutôt hostile, condamnant ses livres à l’Index (c’est-à-dire interdisant aux fidèles de les lire) : Bergson a donc toutes les raisons d’en vouloir au catholicisme.
  • Mais son honnêteté intellectuelle est plus forte ; son étude comparée des différentes formes de mystiques conclut que seul le mysticisme chrétien possède, au-delà de la contemplation, de si admirables fruits dans l’action : « Qu’on pense à ce qu’accomplirent, dans le domaine de l’action, un saint Paul, une sainte Thérèse, une sainte Catherine de Sienne, un saint François, une Jeanne d’Arc, et tant d’autres. » Selon Bergson, cette vitalité surabondante est le signe que ces grands saints chrétiens ont atteint le véritable sommet mystique, l’union à Dieu.

  • Bergson étudie aussi les mystiques non chrétiennes (notamment les mystiques antiques et celles de la culture indienne) : lorsqu’il conclut à la supériorité de la mystique chrétienne, c’est en toute connaissance de cause.

Synthèse :

Henri Bergson (1859 – 1941) est indéniablement un esprit brillant. Lycéen, il est quatre fois lauréat du concours général (le prestigieux concours national des élèves de lycée), dans trois disciplines : latin en 1875, latin et français en 1876, et mathématiques en 1877. Après avoir balancé entre la science et les humanités, il se décide pour les humanités : admis à l’École normale supérieure en 1878, il obtient l’agrégation de philosophie et commence à enseigner, tout en préparant un double doctorat en littérature et en philosophie (1889). Ensuite, professeur à l’École normale (1898) et au Collège de France (1900), il poursuit une prestigieuse carrière de philosophe de renommée internationale, couronnée de nombreuses distinctions : docteur en sciences de l’université d’Oxford, docteur en littérature de l’université de Cambridge, élu à l’Académie française (1914) et dans plusieurs autres académies en France (Académie des sciences morales politiques) ou à l’étranger (Suède, États-Unis et deux académies en Italie), prix Nobel de littérature (1928), grand-croix de la Légion d’honneur.

Féru de sciences, Bergson nourrit ses réflexions philosophiques de ses connaissances scientifiques. La biologiel’intéresse tout particulièrement, et son troisième grand livre, L’Évolution créatrice (1907), porte un regard philosophique nouveau sur la théorie de l’évolution. Pour Bergson, en effet, la grande question est la question de la vie et de ce qu’il appelle « l’élan vital ». Il s’intéresse notamment à ce qui lui apparaît comme un grand paradoxe : s’il y a une grande diversité entre les différentes espèces, il y a au contraire au sein de chaque espèce une grande ressemblance entre les individus. Voilà ce qu’il écrit dans « La conscience et la vie » (1911, publié en 1919 dans L’Énergie spirituelle) : « Vue du dehors, la nature apparaît comme une immense efflorescence d’imprévisible nouveauté ; la force qui l’anime semble créer avec amour, pour rien, pour le plaisir, la variété sans fin des espèces végétales et animales […]. Mais la forme d’un vivant, une fois dessinée, se répète indéfiniment ; mais les actes de ce vivant, une fois accomplis, tendent à s’imiter eux-mêmes et à se recommencer automatiquement. » L’homme seul, par son comportement libre et moral, échappe à cette loi de ressemblance et peut produire quelque chose d’original.

C’est ainsi que Bergson est amené à se pencher sur l’étude de la morale, et donc sur l’étude des religions, qui sont très largement au fondement de la morale. Mais dans un milieu philosophique alors largement dominé par le scientisme et le positivisme, qui rejettent le surnaturel, Bergson se singularise en poussant son étude jusqu’à prendre en compte l’expérience des mystiques. Pour lui, en effet, la vie mystique constitue le sommet de cette originalité de l’homme dans la nature.

Bergson se livre donc à une étude comparée des différentes formes de mystique à travers les époques et les aires culturelles – étude qui trouve son aboutissement dans son maître-ouvrage, Les Deux Sources de la morale et de la religion, en 1932. Évoquant l’expérience mystique des Grecs de l’Antiquité, spécialement Plotin, il écrit : « Il alla jusqu’à l’extase, un état où l’âme se sent ou croit se sentir en présence de Dieu, étant illuminée de sa lumière ; il ne franchit pas cette dernière étape pour arriver au point où, la contemplation venant s’abîmer dans l’action, la volonté humaine se confond avec la volonté divine. » C’est le principal reproche qu’il adresse aux mystiques non chrétiennes : si elles peuvent aller très loin dans la contemplation, elles ne portent pas ces admirables fruits dans l’action que l’on observe chez les grands saints chrétiens. Ainsi, écrit-il, « le mysticisme, au sens absolu où nous convenons de le prendre, n’a pas été atteint par la pensée hellénique ». La mystique de l’aire culturelle indienne, pour admirable qu’elle soit, n’est pas non plus achevée : elle est une mystique « arrêtée à mi-chemin, détachée de la vie humaine mais n’atteignant pas à la vie divine ».

Ainsi, avant même de pouvoir porter un jugement sur la vérité de leur foi, Bergson observe que, d’un point de vue strictement rationnel, seuls les grands saints chrétiens ont poussé la mystique jusqu’à son véritable sommet, qui est cette surabondance de vie qui prolonge l’élan vital d’une façon admirable et originale. Il peut donc écrire : « Le mysticisme complet est en effet celui des grands mystiques chrétiens. Laissons de côté, pour le moment, leur christianisme, et considérons chez eux la forme sans la matière. Il n’est pas douteux que la plupart aient passé par des états qui ressemblent aux divers points d’aboutissement du mysticisme antique. Mais ils n’ont fait qu’y passer : se ramassant en eux-mêmes pour se tendre dans un tout nouvel effort, ils ont rompu une digue ; un immense courant de vie les a ressaisis ; de leur vitalité accrue s’est dégagée une énergie, une audace, une puissance de conception et de réalisation extraordinaires. Qu’on pense à ce qu’accomplirent, dans le domaine de l’action, un saint Paul, une sainte Thérèse, une sainte Catherine de Sienne, un saint François, une Jeanne d’Arc, et tant d’autres. »

À ce stade, Bergson est au seuil de la conversion. S’il ne demande finalement pas le baptême, c’est parce qu’il préfère partager en tout la condition des Juifs alors persécutés par le régime nazi ; mais sa conviction intellectuelle de la vérité du christianisme est établie, au point qu’il demande, à l’approche de la mort, la présence d’un prêtre catholique à ses obsèques, et que rien ne soit dissimulé au rabbin de son adhésion intérieure à la religion chrétienne.

Tristan Rivière


Au-delà des raisons d'y croire :

Henri Bergson joue un rôle déterminant dans les conversions de Jacques et Raïssa Maritain. Les deux jeunes gens, au début des années 1900, sont profondément désespérés par l’absurdité de la condition humaine, telle qu’elle apparaît dans les philosophies rationalistes qui règnent alors sur le paysage intellectuel français, au point qu’ils envisagent le suicide comme la seule option envisageable. « C’est alors que la pitié de Dieu nous fit trouver Henri Bergson », écrit Raïssa dans Les Grandes Amitiés. C’est leur ami Charles Péguy qui les invite à suivre le cours du grand professeur au Collège de France, point de départ d’une évolution intellectuelle et spirituelle qui, accompagnée aussi par Léon Bloy, les conduit au christianisme.


Aller plus loin :

Henri Bergson, Les Deux Sources de la morale et de la religion, « Quadrige », Paris, Presses universitaires de France, 2013.


En savoir plus :

  • Camille de Belloy, « Bergsonisme et christianisme. Les Deux Sources de la morale et de la religion au jugement des catholiques », Revue des sciences philosophiques et théologiques, vol. 85, no 4, 2001, p. 641-667.
  • Catherine Chalier, « Bergson : de la conversion religieuse à la conversion philosophique », entretien avec Damien Le Guay sur Canal Académie, 26 avril 2011.
  • Jean-Louis Vieillard-Baron, « La conversion de Bergson. Première partie : les voies de la conversion », Transversalités, vol. 140, no 1, 2017, p. 87-97.
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