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TOUTES LES RAISONS DE CROIRE
Les martyrs
n°46

Angleterre

1478-1535

Thomas More, « bon serviteur du roi, et de Dieu en premier »

Thomas More est une figure brillante de l’humanisme chrétien du XVIe siècle. Heureux père de famille, il a également une carrière politique hors du commun, jusqu’à occuper l’importante et prestigieuse position de chancelier du royaume. Thomas lutte fermement contre les thèses de Luther et pour la défense de l’Église catholique. Sa foi et son intégrité entrent en porte-à-faux avec Henri VIII lorsque celui-ci rompt avec Rome pour épouser Anne Boleyn. Refusant de signer un acte dont le préambule établit la fondation d’une Église anglicane placée sous l’autorité du roi, Thomas More meurt décapité en 1535. « Sa sainteté resplendit dans le martyre, mais elle fut préparée par une vie entière de travail dans le dévouement à Dieu et au prochain » (Jean-Paul II, motu proprio, 2000).

Détail de portrait de Sir Thomas More par Holbein Le Jeune, 1527, The Frick Collection / © CC0/wikimedia
Détail de portrait de Sir Thomas More par Holbein Le Jeune, 1527, The Frick Collection / © CC0/wikimedia

Les raisons d'y croire :

  • La connaissance historique que nous avons de la vie de Thomas More dépasse largement les simples faits et dates. Les ouvrages et les nombreuses lettres écrites par Thomas et par ses proches (en particulier sa fille Marguerite et Érasme de Rotterdam) nous renseignent beaucoup sur les constituants de sa foi et les motivations profondes de ses actions.
  • Henri VIII a beaucoup d’estime et même de l’amitié pour Thomas More à qui il a longtemps donné ses faveurs. Le roi espère jusqu’au bout qu’il pliera pour n’avoir pas à le faire tuer. Il serait facile pour Thomas de sauver sa vie, mais il ne le fait pas. Il n’est pourtant absolument pas suicidaire ; au contraire, il est très attaché au bonheur familial dont il est comblé. L’obstination de Thomas More ne s’explique que par une conviction, très supérieure à toutes les autres, qui lui fait contempler la vie après la mort.
  • Avant d’être exécuté, Thomas More reste un an dans une prison sinistre, séparé de ceux qu’il aime et soumis à des traitements difficiles. Il garde jusqu’au bout, face à la mort, un caractère paisible et enjoué. Cette attitude est surhumaine. Thomas l’explique lui-même dans ses écrits : la foi découvre la valeur surnaturelle de ses souffrances.
  • Les derniers mots que Thomas More adresse au jury qui le condamne sont inexplicables sans grâces divines, surtout au regard de l’iniquité du procès : « J’ai peu de choses à dire, sauf ceci : le bienheureux apôtre Paul était présent et consentant au martyre de saint Étienne. Maintenant, tous deux sont des saints dans le Ciel. Bien que vous ayez concouru à ma condamnation, je prierai avec ferveur pour que vous et moi, nous nous retrouvions ensemble au Ciel. De même, je désire que le Dieu Tout-Puissant préserve et défende Sa Majesté le Roi, et lui envoie un bon conseil. »

Synthèse :

Thomas More, né en 1478 à Londres, est le fils d’un haut magistrat londonien. Il est placé dès sa jeunesse au service de l’archevêque de Cantorbéry, le cardinal Morton. Thomas intègre ensuite l’université d’Oxford et, poussé par son père, entame des études de droit, même s'il montre des centres d’intérêt larges : théologie, littérature classique, grec, etc. Il entretient des rapports d’échanges et d’amitié avec d’importants protagonistes de la culture humaniste, notamment Érasme de Rotterdam.

Attiré par la vie religieuse, Thomas fait une longue retraite à la Chartreuse de Londres en 1503. Se sentant finalement appelé au mariage, à la vie familiale et à l’engagement laïc, il épouse Jane Colt en 1505, avec qui il a trois filles et un fils. À la mort de sa femme, il se marie à nouveau avec Alice Middleton, veuve et mère de deux enfants. Thomas More se montre toute sa vie un mari et un père fidèle et attentionné. Il est très attaché à donner à ses enfants, filles comme garçons, une éducation complète.

Thomas More est aussi l’auteur du livre Utopia (vision satirique d’une république idéale), paru en 1516, qui eut un succès certain et est à l’origine du mot « utopie ». Sa carrière dans le droit se teinte peu à peu de politique. À partir de 1504, il est membre du Parlement et fait très vite montre d’intégrité. Par exemple, Thomas s’oppose à la surtaxe opérée par Henri VII pour financer la guerre d’Écosse. Cette position l’oblige à s’exiler en France plusieurs années ; le retour de Thomas n’est permis que par l’avènement du prochain roi d’Angleterre : Henri VIII.

Thomas opère à partir de là une carrière politique fulgurante extraordinaire. Sa droiture morale, son intelligence, son érudition et son caractère enjoué sont largement reconnus et appréciés. Il est remarqué par le roi qui a pour lui beaucoup d’estime et même une certaine amitié. Thomas More occupe successivement plusieurs postes importants : maître des requêtes, membre du Conseil privé du roi, trésorier de la Couronne et speaker au Parlement. En 1529, il accède à la plus haute charge : chancelier du royaume, à laquelle habituellement seul un homme d’Église peut accéder.

Thomas More a à cœur la défense de la foi catholique, en particulier dans le contexte religieux tendu du XVIe siècle qui voit le développement des idées protestantes. Il s’engage fermement contre les thèses de Lutherqu’il réfute par écrit dans sept livres rédigés de 1528 à 1533. Au début de son règne, Henri VIII se positionne aussi comme un fervent défenseur du pape et de l’Église catholique ; mais lorsque son désir de voir annuler son mariage avec Marguerite d’Aragon pour épouser Anne Boleyn n’est pas ratifié par l’Église, le roi choisit de rompre avec Rome. Henri VIII se proclame le chef suprême de l’Église d’Angleterre, provoquant un schisme par cet acte.

Thomas More se trouve dans une position extrêmement difficile : il refuse de se détacher de l’Église catholique, car il a la conviction que Dieu est vérité et que l’Église catholique est une institution qui répand la vérité. Mais s’opposer au roi est mortel... Thomas défend fermement ses convictions religieuses, tout en évitant habilement de défier ouvertement Henri VIII sur le plan politique. C’est dans cette optique qu’il cherche à se retirer de la vie publique et présente sa démission en 1531. De même, Thomas n’assiste pas au couronnement d’Anne Boleyn en 1533, mais il en explique adroitement les raisons dans une lettre adressée au roi.

Thomas More est l’objet de plusieurs diffamations visant à le faire condamner (accusations de lèse-majesté, de corruption, de complot contre la couronne) qu’il sera capable de réfuter en produisant des documents prouvant son innocence. En 1534, More est convoqué devant une commission afin de jurer allégeance à l’Acte de succession du Parlement. Il racontera sa comparution pour la prestation du serment dans une lettre à sa fille : « Lorsque je fus arrivé à Lambeth, où était réunie la commission royale, je demandai qu’on me communiquât le texte du serment qu’on exigeait. Après avoir lu attentivement et examiné longtemps, je déclarai, dans toute la sincérité de ma conscience, que, sans toutefois refuser mon serment à la succession en elle-même, je ne pouvais consentir à prêter ce serment tel qu’il était formulé, à moins que je ne voulusse exposer mon âme à la damnation éternelle. Comme je cessai de parler, le grand chancelier du royaume prit la parole, et me déclara que les assistants étaient vivement affligés de m’entendre m’exprimer ainsi ; que j’étais le premier entre tous les sujets de Sa Majesté qui refusât de prêter le serment qu’elle exigeait. On me présenta une liste volumineuse d’adhérents, mais je déclarai de nouveau que ma résolution, loin d’avoir changé, était inébranlable. »

Ainsi, More reconnaît le droit du Parlement de déclarer Anne légitime reine d’Angleterre, mais refuse de prêter serment à cause d’une préface qui affirme l’autorité du roi en matière religieuse, déniant cette compétence au pape. Il est enfermé dans la tour de Londres pendant plus d’un an, durant lequel il est soumis à diverses formes de pression psychologique afin de le faire plier, en vain. Il emploie le temps de sa détention à se préparer à la mort et écrit plusieurs ouvrages remarquables (Dialogue du réconfort dans les tribulations, Les quatre fins dernières) : « Toutes nos tribulations ont pour principale raison de susciter en nous le désir d’être consolés par Dieu. Cependant, elles nous aident aussi à nous purifier de nos fautes passées, elles nous préservent des fautes à venir. Elles diminuent les peines du purgatoire et accroissent la récompense finale du Ciel. »

Son procès a lieu en juillet 1535. Le jury, composé notamment du père, du frère et de l’oncle d’Anne Boleyn, le juge coupable de trahison suite à un témoignage parjure. Thomas More affirme à nouveau qu’« aucun homme temporel ne peut être à la tête de la spiritualité ». Sa sentence est d’être pendu, éviscéré et écartelé, mais le roi, par faveur, commue sa sentence en simple décapitation ; « Dieu préserve mes amis de la même faveur ! », répondra Thomas. Il déclare sur l’échafaud qu’il meurt en « bon serviteur du roi, et de Dieu en premier ».

Thomas More est béatifié en 1886 par Léon XIII, puis canonisé en 1935 par Pie XI. Jean-Paul II en fait le saint patron des responsables de gouvernement et des hommes politiques en 2000 par un motu proprio dans lequel il dit : « C’est précisément dans la défense des droits de la conscience que l’exemple de Thomas More brilla d’une lumière intense. On peut dire qu’il vécut d’une manière singulière la valeur d’une conscience morale qui est "témoignage de Dieu lui-même […]". L’histoire de saint Thomas More illustre clairement une vérité fondamentale de l’éthique politique. En effet, la défense de la liberté de l’Église contre des ingérences indues de l’État est en même temps défense, au nom de la primauté de la conscience, de la liberté de la personne par rapport au pouvoir politique. C’est là le principe fondamental de tout ordre civil, conforme à la nature de l’homme. »

Solveig Parent


Au-delà des raisons d'y croire :

L’attitude de Thomas More est une lumière pour notre temps. Le pape Jean-Paul II affirme que des lois comme celles qui prétendent légitimer l’avortement ou l’euthanasie « entraînent une obligation grave et précise de s’y opposer par l’objection de conscience. Dès les origines de l’Église, la prédication apostolique a enseigné aux chrétiens le devoir d’obéir aux pouvoirs publics légitimement constitués (cf.Rm 13,1-7 ; 1 P 2,13-14), mais elle a donné en même temps le ferme avertissement qu’il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes (Ac 5,29). L’introduction de législations injustes place souvent les hommes moralement droits en face de difficiles problèmes de conscience. Les choix qui s’imposent sont parfois douloureux et peuvent demander de sacrifier des positions professionnelles confirmées ou de renoncer à des perspectives légitimes d’avancement de carrière. Les chrétiens, de même que tous les hommes de bonne volonté, sont appelés, en vertu d’un grave devoir de conscience, à ne pas apporter leur collaboration formelle aux pratiques qui, bien qu’admises par la législation civile, sont en opposition avec la Loi de Dieu. Pour les actes que chacun accomplit personnellement, il existe, en effet, une responsabilité morale à laquelle personne ne peut jamais se soustraire et sur laquelle chacun sera jugé par Dieu lui-même » (Encyclique Evangelium vitæ, 25 mars 1995, n° 73-74).


Aller plus loin :

The Complete Works of Thomas More, 15 volumes en 21 tomes, édités par Yale University, New Haven et Londres, 1963-1997.


En savoir plus :

  • Motu proprio du pape Jean-Paul II pour la proclamation de saint Thomas More comme patron des responsables de gouvernement et des hommes politiques, 31 octobre 2000.
  • Correspondence of Sir Thomas More, éd. E. F. Rogers, Princeton University Press, 1947, réimpr. 1971.
  • Jean Anouilh, Thomas More ou l’homme libre, La Table ronde, 1987.
  • Vidéo d’Arnaud Dumouch, La vie de saint Thomas More : faut-il obéir aux lois de l’État en tout ?, 2020.
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