Simone Weil rencontre le Christ

Jusqu’en 1938, la philosophe Simone Weil ne croit pas à la possibilité d’une expérience mystique. Plus tard, elle expliquera que jusqu’à cette date, elle n’a jamais cherché Dieu et jamais prié. Pourtant, un jour de cette année 1938, elle vit elle-même une certaine union au Christ, qu’elle décrit simplement en quelques mots : « Le Christ lui-même est descendu et m’a prise. » Alors même que Simone Weil ne demandera jamais le baptême et restera toujours très réservée vis-à-vis de l’Église, elle ne reviendra jamais sur cette certitude que son expérience mystique avait été une vraie rencontre avec Jésus.

Les raisons d'y croire :

Simone Weil se révèle aussi bien dans ses écrits que dans ses engagements militants comme une femme d’une rigueur morale et d’une rectitude de conscience exceptionnelle (partage de la condition ouvrière en usine, dénonciation de la barbarie lors de la guerre d’Espagne, engagement dans la Résistance, etc.).

Jusqu’à sa propre rencontre avec le Christ, elle ne croit pas à la possibilité d’une expérience mystique. Elle considère même que la prétention à avoir fait une telle rencontre est « une sorte de blasphème ».

Comme elle l’expliquera elle-même plus tard, elle n’a jamais cherché à connaître Dieu, n’a jamais prié et n’a jamais lu d’auteurs mystiques. Son expérience ne peut donc en aucun cas être considérée comme une identification inconsciente à un quelconque modèle.

Par la suite, Simone Weil s’intéressera beaucoup à l’hindouisme et aux sagesses orientales, pour laquelle elle développera beaucoup d’estime, et restera très réticente vis-à-vis de la dogmatique chrétienne ; pourtant, elle ne cessera jamais de considérer que c’était bien le Christ qu’elle avait rencontré, et non pas une divinité indéterminée.

Simone Weil gardera toute sa vie des distances à l’égard de l’Église, au point qu’elle ne demandera jamais le baptême : on ne peut donc pas soupçonner son témoignage d’avoir été influencé, même inconsciemment, pour faire valoir le christianisme.

Synthèse :

Simone Weil (1909 – 1943) est une philosophe française d’origine juive. Jeune femme, elle ne s’intéresse pas du tout à la question de Dieu. Pour elle, Dieu, s’il existe, est tellement séparé du monde qu’il est impossible d’en dire quelque chose. Elle témoignera plus tard, dans Attente de Dieu : « Je peux dire que dans toute ma vie, je n’ai jamais, à aucun moment, cherché Dieu […]. Dès l’adolescence, j’ai pensé que le problème de Dieu est un problème dont les données manquent ici-bas et que la seule méthode certaine pour éviter de le résoudre à faux, ce qui me semblait le plus grand mal possible, était de ne pas le poser. Ainsi, je ne le posais pas. » À plus forte raison, il n’est pas question pour elle de penser une rencontre avec Dieu. Dans ses Leçons de philosophie de 1933-1934, elle écrit par exemple : « Ceux qui croient entrer en contact avec Dieu par l’expérience (mystique) commettent une sorte de blasphème. On détruit ainsi le divin. […] Dieu ne peut pas être senti. » Ainsi, elle ne prie pas, et ne lit jamais aucun auteur mystique.

Par ailleurs, la jeune femme n’aime pas l’Église catholique, elle n’aime pas les dogmes, qui lui semblent une conception très restrictive de la vérité. Elle est plus intéressée par les sagesses orientales, notamment les traditions de l’Inde, qui lui paraissent plus ouvertes. Néanmoins, elle respecte la piété populaire : en 1936, alors qu’elle assiste à une célébration religieuse dans un petit village du Portugal, elle est touchée par la ferveur de la foi des pauvres gens.

L’année suivante, de passage à Assise lors d’un voyage en Italie, elle fait une première expérience de la grâce divine : « Là, étant seule dans la petite chapelle romane du XIIe siècle de Santa Maria degli Angeli […], quelque chose de plus fort que moi m’a obligée, pour la première fois de ma vie, à me mettre à genoux. » Mais elle en reste là. À nouveau, un an plus tard, en 1938, intéressée par « la beauté inouïe » du chant grégorien et de la liturgie monastique, elle passe dix jours à l’abbaye de Solesmes. Mais c’est toujours l’aspect extérieur, la splendeur des rites, qui compte.

C’est seulement quelques mois plus tard, et en dehors de tout cadre ecclésial, que survient l’événement. Ce jour-là, alors qu’elle s’adonne à la lecture et à la récitation d’un poème anglais du XVIIe siècle, elle fait une rencontre mystique avec le Christ. Elle conservera toujours une grande pudeur à ce sujet, et elle le décrit simplement par quelques mots : « Le Christ lui-même est descendu et m’a prise […]. Dans cette soudaine emprise du Christ sur moi, ni les sens ni l’imagination n’ont eu aucune part ; j’ai seulement senti à travers la souffrance la présence d’un amour analogue à celui qu’on lit dans le sourire d’un être aimé. »

Simone Weil n’avait aucune raison extérieure d’identifier cette expérience de l’amour à la personne de Jésus-Christ – elle qui était plutôt adversaire de toute expression dogmatique et qui craignait par-dessus tout de réduire la vérité à une définition trop limitée –, et pourtant elle n’en doute pas : c’est bien le Christ qu’elle a rencontré ce jour-là, comme une vraie rencontre « de personne à personne », comme elle le raconte, toujours dans son témoignage : « Dans mes raisonnements sur l’insolubilité du problème de Dieu, je n’avais pas prévu la possibilité de cela, d’un contact réel, de personne à personne, ici-bas, entre un être humain et Dieu. J’avais vaguement entendu parler de choses de ce genre, mais je n’y avais jamais cru. »

Par la suite, Simone Weil ne deviendra jamais formellement catholique : elle ne franchira jamais le pas de demander le baptême. Mais, par son travail philosophique, réalisé en dehors de toute contrainte religieuse, elle ne cessera de rendre compte de cette conviction : la grâce agit.

Tristan Rivière

Au-delà des raisons d'y croire :

Après cette rencontre de 1938, Simone Weil aura d’autres expériences mystiques, parfois positives et paisibles, mais parfois négatives et douloureuses, qui lui feront douter de l’amour de Dieu pour elle : « Je sais bien qu’il ne m’aime pas. Comment pourrait-il m’aimer ? », écrit-elle dans La Connaissance surnaturelle. Cela montre que la vie spirituelle n’est jamais déterminée une fois pour toutes, qu’elle est un chemin à parcourir toujours avant, avec ses hauts et ses bas…

Aller plus loin :

Simone Weil, Attente de Dieu, Paris, Fayard, 1966.

En savoir plus :

Le documentaire vidéo de Catherine Derenne, Simone Weil, la vie au risque de la vérité , 2018.
André A. Devaux, « Simone Weil et la rencontre avec le Christ », in Communio. Revue catholique internationale, n^o XXIII/5 (septembre-octobre 1998), p. 109-125.
Christiane Rancé, Simone Weil. Le courage de l’impossible, Paris, Seuil, 2009.
Martin Steffens, Prier 15 jours avec Simone Weil, collection « Prier 15 jours », n^o 125, Bruyères-le-Châtel, Nouvelle Cité, 2009.