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La profondeur de la spiritualité chrétienne

Les images de la Sainte Trinité selon saint Augustin

L’esprit humain est véritablement image de Dieu parce que Dieu est Esprit. Or, saint Augustin (354 – 430), principal Père de l’Église latine et docteur de l’Église, relève en l’esprit humain des analogies frappantes entre l’œuvre créée (ici l’esprit humain) et son Auteur : la Trinité divine. Ces triades qu’il découvre en l’esprit ne constituent pas une preuve que Dieu est unique en trois Personnes, mais forment des jalons bien réels pour les hommes dont l’intelligence, faculté qui lit à l’intérieur des choses (intus-legit), est libre d’accomplir son ouvrage – découvrir la vérité.

Glorification de la Trinité, Felix Joseph Barrias, 1864 / © Public Domain Dedication
Glorification de la Trinité, Felix Joseph Barrias, 1864 / © Public Domain Dedication

Les raisons d'y croire :

  • Saint Augustin montre dans plusieurs de ses ouvrages que les perfections de l’univers ne peuvent être leur propre cause et que l’intelligence humaine qui les contemple doit nécessairement poser l’existence d’un Être qui est leur auteur. Partant de la connaissance des choses sensibles, l’esprit humain porte à leur sujet des jugements ; ces jugements sont d’une autre nature que celle des objets jugés : l’esprit leur est donc supérieur.

    Pour autant, il n’est pas lui-même la réalité suprême, puisqu’il peut progresser en sagesse. C’est la vérité immuable, qui est au-dessus de lui, qui guide ses pas. L’esprit s’attache à elle, parce qu’il comprend qu’elle est sa béatitude inaltérable. C’est Dieu qui est ainsi découvert. Cet effort d’ascension s’opère par le moyen du principe de causalité. Il aboutit à la découverte d’une nature supérieure à la nature humaine, qui éclaire et dirige cette dernière : c’est Dieu. Ce Dieu découvert est unique et simple : il n’y a qu’un Dieu, qui n’est pas composé de parties.
  • Saint Augustin recense ensuite plusieurs images qu’il emprunte à l’activité naturelle de l’homme. Ces images rendent compte d’un lien étroit entre l’homme et son créateur. Les deux principales, qui se répondent, sont dans l’âme. C’est d’abord la triade : esprit (mens), connaissance (notitia) et amour (amor). Toutes trois ne forment qu’une même substance, mais sont cependant distinctes. Ces trois substances se trouvent les unes dans les autres, et ne forment ainsi qu’une seule substance : l’esprit se connaît lui-même, dans son acte même de connaissance. De cet acte de connaissance découle nécessairement et directement l’amour de soi ; enfin, en ces deux actes de connaissance et d’amour de soi, l’esprit, de manière nécessaire et immédiate également, prend conscience de soi. Connaissance, amour et conscience de soi sont des concepts corrélatifs, parce qu’ils sont immanents à l’esprit : ils sont de même nature, parfaitement adaptés les uns aux autres, bien que distincts les uns des autres et tous trois bien réels (De Trinitate, IX, 5, 8, BA 15 p. 88-91). Cette triade est l’image de la Trinité sainte, entendue selon la conception des Pères de l’école théologique d’Antioche : le Père, fons totius Trinitatis, est le principe des deux autres personnes divines.
  • Une triade plus évidente vient compléter la précédente : quand l’âme agit sur elle-même, elle est mémoire spirituelle (memoria), intelligence (intelligentia) et volonté (voluntas) en ce qu’elle se souvient d’elle-même, qu’elle se connaît elle-même et s’aime elle-même. L’objet n’est pas alors étranger à l’âme agissante, et son opération n’est pas interrompue. Ces trois termes sont distincts les uns par rapport aux autres. Ils sont toutefois en intime corrélation les uns avec les autres. L’un d’entre eux appelle les deux autres, de sorte que tous trois forment une unité : celle de l’esprit, qui est l’image créée de l’unité divine. Ils sont aussi égaux les uns aux autres : la mémoire spirituelle représente la personne du Père ; de la mémoire spirituelle procèdent d’une part l’intelligence qui se connaît elle-même, image du Fils qui est le Verbe du Père, et d’autre part la volonté qui s’aime elle-même, image du Saint-Esprit qui est l’amour commun substantiel qui unit le Père et le Fils (De trinitate, X, 11, 17-18, BA 15 p. 152-157). L’opération naturelle de l’esprit – qui a conscience de lui, se connaît et s’aime lui-même – est un très haut degré de l’activité spirituelle humaine. C’est le fruit de la sagesse naturelle.
  • Enfin, une plus haute analogie met en lumière l’image du Dieu trine en l’homme : c’est lorsque l’homme s’élève au-dessus de lui-même, au-dessus de la conscience, de la connaissance et de l’amour de lui-même pour atteindre la conscience de Dieu, la connaissance de Dieu et l’amour de Dieu. Quand l’homme participe à la conscience que Dieu a de lui-même, qu’il connaît Dieu comme Dieu se connaît lui-même et aime Dieu comme Dieu s’aime lui-même, il participe à la vie même de Dieu. C’est par la grâce, c’est-à-dire par l’action de la Trinité divine en l’esprit humain, que cela peut se produire. L’homme ne devient pas Dieu, mais Dieu élève les facultés spirituelles humaines jusqu’à lui. Alors l’homme constate en lui-même au plus haut point l’image du Dieu trine. Cette image est vivante parce qu’elle est en action : sous la motion du Père, du Verbe et de l’Esprit Saint, l’âme de l’homme découvre en elle-même, comme en ombre ou par un jeu de miroir (in aenigmate, per speculum), l’image épurée de la Trinité (De trinitate, XIV, 8, 11, p. 372-379 ; XV, 6, 10, p. 442-447). Et, note Augustin, cette contemplation est béatifiante (ibid., VIII, 2, 3 et 3, 4-5, p. 29-39).

Synthèse :

C’est dans l’activité de l’âme que saint Augustin découvre l’image de la Sainte Trinité : dans l’activité humaine de l’âme d’abord, c’est-à-dire en son activité naturelle, puis dans son activité chrétienne, c’est-à-dire surnaturelle. En fin connaisseur de la psychologie humaine au sens traditionnel du terme, Augustin sait que la vie naturelle est perfectionnée par la vie surnaturelle. Cette dernière accomplit, c’est-à-dire porte à sa perfection, la première. Saint Augustin explique ainsi les intuitions du philosophe néo-platonicien Plotin : la communion avec le divin, à laquelle tout homme aspire au fond de lui-même et à laquelle Plotin invite les hommes spirituels, ne peut être, pour Augustin, réalisée ici-bas, parce que la distance métaphysique qui sépare l’homme de Dieu l’en empêche. Le péché est un second obstacle. Plotin ne relevait que ce dernier.

Saint Augustin n’est pas de cet avis : outre le péché qui met un fossé entre l’homme et Dieu parce que Dieu est la sainteté même, la condition de créature sépare aussi l’homme de Dieu. En tant qu’être créé, l’homme est imparfait et limité : l’erreur, l’attrait pour le mal, la faiblesse physique et la maladie, la mort enfin en sont les symptômes évidents. Ils témoignent que l’homme ne s’est pas fait lui-même, puisqu’il est incapable, par ses propres forces, de se garder en bonne santé intellectuelle, morale et physique. L’homme ne tient pas son être de lui-même. Dieu, lui, est parfait : éternel, tout-puissant, sagesse et bonté suprême sont les caractéristiques qui le dépeignent. Il est cause de lui-même, tandis que l’homme tient son être de Dieu. Dieu est créateur ; l’homme est créé par Dieu. Dieu n’est donc relatif à rien d’autre que lui-même, alors que l’homme dépend de Dieu dans son existence même. Saint Augustin estime que c’est en prenant conscience de sa propre dissimilitude morale par rapport à Dieu que l’homme a l’intuition de sa dissimilitude métaphysique. Il explique que la terre d’ici-bas est la « région de la dissemblance », où l’homme est loin de Dieu : loin de lui parce que pécheur, mais aussi parce que limité dans l’ordre de l’être.

Saint Augustin ajoute que, s’il est impossible à l’homme seul de combler ce double fossé, Dieu peut le faire pour lui. Dieu peut rendre l’homme saint en le purifiant de ses affections désordonnées, et élever les capacités naturelles de l’esprit humain jusqu’à lui-même : il ne change ainsi pas la nature de l’esprit humain en la divinisant (ce serait du panthéisme), mais rend l’intelligence humaine capable de voir Dieu, et la volonté humaine capable de l’aimer.

Toutefois, ce serait impossible si l’esprit humain n’était pas déjà naturellement apte à cette opération. Déjà, dans le monde matériel, la transmission d’un mouvement (ou d’un courant, etc.) s’opère par l’intermédiaire de propriétés communes : un mobile A peut être projeté par un mobile B parce que tous deux ont un corps qui leur permet d’entrer en contact. On devine que la nature de l’esprit humain est ce terreau qui la rend possible : l’homme a l’esprit, et Dieu est Esprit. C’est donc par l’esprit, et dans l’esprit, point commun entre l’homme et Dieu, que l’homme peut le rejoindre. Cette communion avec la divinité sera bien sûr le fait de Dieu lui-même, par le moyen de l’action divine qu’on appelle la grâce. Or, saint Augustin remarque en l’âme humaine des trinités de facultés, unies en une seule entité (c’est l’intelligence humaine qui distingue ces facultés ; elles ne sont pas séparées dans la réalité). Ces trinités naturelles sont des signes qui montrent, à ceux qui les voient, la Trinité surnaturelle qui les a faites et à laquelle elles sont ordonnées.

Docteur en philosophie, Vincent-Marie Thomas est prêtre.


Aller plus loin :

Saint Augustin, La Trinité, Desclée de Brouwer, 1955, Bibliothèque augustinienne no 16 (tome 2 : « Les images »), 707 p.


En savoir plus :

  • Fulbert Cayré, La Contemplation augustinienne, Paris, Desclée de Brouwer, « Bibliothèque augustinienne », nouvelle édition revue et complétée, 1954, 287 p.
  • Augustine, On the Trinity, Amherst (USA), Gareth B. Matthews, University of Massachusetts, Cambridge Texts in the History of Philosophy, translated by Stephen McKenna, 2002, 268 p.
  • L’article 1 000 raisons de croire : « La conversion de saint Augustin : "Combien de temps remettrai-je à demain ?" ».
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