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Les grands témoins de la foi
n°87

Italie

1469-1534

Tommaso de Vio, dit Cajétan, une vie au service de la vérité

Tommaso de Vio, surnommé Cajétan, en référence à son lieu de naissance, la ville de Gaète (Italie), est un théologien, philosophe et exégète de la Renaissance. Il occupe de très hautes responsabilités parmi les Dominicains, avant d’être cardinal. Il joue notamment un rôle important lors du cinquième concile du Latran pour la défense des droits pontificaux. Cajétan est également l’un des plus brillants commentateurs de l’œuvre de saint Thomas d’Aquin. Ses réflexions influenceront la théologie et le droit canonique pendant plusieurs siècles ; sa traduction de la Bible a fait date, au moins jusqu’au XIXe siècle. Homme de prière, il trouve dans la parole de Dieu le sens de sa vie et de sa mission. Il meurt le 19 août 1534.

Ferdinand Pauwels, Martin Luther face à Thomas Cajetan, 1872, Wartburg-Stiftung / ©
Ferdinand Pauwels, Martin Luther face à Thomas Cajetan, 1872, Wartburg-Stiftung / ©

Les raisons d'y croire :

  • Cajétan est un intellectuel européen de premier plan, reconnu par ses pairs, aussi bien en théologie et en exégèse qu’en philosophie. Il débat en public avec l’illustre philosophe florentin Pic de la Mirandole.
  • L’attitude de Cajétan montre qu’il est mû par un authentique désir de recherche de la vérité et une volonté première d’obéir à Dieu. Lorsqu’il est chargé par le pape, en 1518, de demander à Luther de revenir à l’unité de l’Église, Cajétan ne condamne pas aveuglément, mais compare de façon analytique les positions de Luther avec l’Écriture sainte, la doctrine et la tradition de l’Église, et la raison humaine. Le rapport de cette rencontre, rédigé par Luther, souligne d’ailleurs son attitude bienveillante et respectueuse.
  • Le jour de Noël 1517, alors que Cajétan célèbre la messe dans la basilique Sainte-Marie-Majeure (Rome), la Vierge Marie lui apparaît, accompagnée de l’Enfant Jésus. Aux dires des nombreux témoins, il reste totalement immobile pendant de longues minutes, pendant lesquelles personne n’ose dire un mot. Le 19 août 1534, sur son lit de mort, Marie lui apparaît une seconde fois et le soutient dans la foi.
  • Cet homme, « petit et d’apparence plutôt chétive » (Y. Congar) mène une vie particulièrement humble, malgré ses titres et ses fonctions remarquables. Cajétan s’est toujours considéré avant tout au service de Dieu, de l’Église et des pauvres, qu’il veut nourrir spirituellement et intellectuellement de la parole de Dieu.    
  • La puissance de la réflexion, la sagesse humaine et l’étendue de son œuvre, ainsi que la diversité de ses fonctions, ne peuvent que surprendre et enthousiasmer tout observateur impartial.

Synthèse :

Tommaso de Vio, dit Cajétan, vient au monde le 1er mars 1469 à Gaète (Italie, Latium), cité alors incluse dans les États pontificaux.

L’époque est loin d’être facile pour l’Église catholique. D’une part, depuis un bon siècle, les excès ostentatoires de certains prélats sont devenus la cible de critiques très acerbes, et la théologie catholique subit un vent de contestation jusqu’alors inconnu : la Réforme protestante voit le jour officiellement en 1517 ; d’autre part, la diplomatie européenne met régulièrement la papauté en difficulté. Le roi de France Charles VIII envahit une partie de la péninsule italienne, et l’empereur Charles-Quint pille Rome en 1527.

Cajétan a 56 ans. Sa vie durant, il s’efforce de mettre en lumière non seulement le bien-fondé de la papauté – dont la mission est de garder le trésor de la foi, et de le transmettre de génération en génération, avec la beauté et l’authenticité de son enseignement – mais également la vérité de l’Évangile face aux multiples pensées humaines. Il n’hésite pas à croiser le fer avec l’illustre philosophe florentin Pic de la Mirandole, alors qu’il n’est âgé que d’à peine 25 ans.

Cajétan connaît parfaitement les courants intellectuels qui influencent son époque, à commencer par le néoplatonisme, qui nourrit la pensée européenne de la Renaissance. Mais sa foi le pousse à montrer que la vérité n’est pas un concept – aussi brillant soit-il – mais une personne, Jésus-Christ. Universitaire, formé dans trois universités réputées de l’époque (Bologne, Padoue et Naples), et de surcroît dominicain, il a conscience que cette vérité (Dieu fait homme) ne deviendra pleinement audible pour les hommes de son temps qu’à travers la rencontre, le dialogue, et parfois la confrontation de la foi de saint Pierre avec les philosophies dominantes, et que personne n’a jamais mieux – ni aussi profondément – dialogué que son illustre prédécesseur, saint Thomas d’Aquin. C’est pourquoi Cajétan est un commentateur exigeant, érudit et magistral, en particulier de la Somme théologique. En 1519, il est le principal rédacteur de deux bulles pontificales qui placent l’œuvre de saint Thomas d’Aquin en première position dans le dialogue de l’Église avec la société de son temps.

La théologie ne lui suffit pas. Il est aussi un homme qui se nourrit de la parole de Dieu. Il est un lecteur extraordinaire de la Bible. Son savoir concernant l’Ancien Testament est proprement exceptionnel pour son époque : il échange de manière régulière avec plusieurs rabbins érudits et, en quelques années, traduit presque toute l’Écriture sainte, ce qui, de la part d’un seul homme faiblement secondé sur le plan éditorial (c’est un chercheur aimant travailler en solitaire ou peu accompagné), demeure un exploit authentique. Sa traduction inspirera maints exégètes modernes.

La force de Cajétan, outre son intelligence remarquable, est sa gestion du temps exemplaire. Il ne s’accorde que très peu de repos. Il se veut corps et âme au service de la vérité évangélique. C’est pourquoi il parvient, de main de maître et de façon vraiment incroyable, à conjuguer activités diplomatiques de première importance (légat des papes Jules II et Léon X), travail intellectuel débordant et vie spirituelle riche et féconde. Ses occupations si variées sont en fait « une », unifiées par l’Esprit Saint. Aussi, on aurait tort de ne voir en Cajétan qu’un philosophe et un théologien. C’est un homme de Dieu, dont la pensée et la volonté ne font qu’un avec ses émotions, son imagination, ses affects.

Lorsqu’il tente de dialoguer avec Martin Luther, en 1518, il ne se présente pas à lui simplement en représentant du Saint-Siège, mais en tant que frère dans le Christ Jésus. Lorsqu’il prononce la validité canonique du mariage du roi d’Angleterre Henri VIII avec Catherine d’Aragon, refusant ainsi le divorce de ce souverain aux yeux de l’Église, il ne le condamne pas humainement, mais il lui rend compte qu’il est dans l’erreur aux yeux du Seigneur. Lorsqu’il organise la résistance chrétienne contre l’invasion turque en Europe centrale en 1523-1524, il ne fait pas de ces envahisseurs des hommes à abattre, mais à convertir.                  

Le cardinal théologien, à l’image de saint Dominique, le fondateur de son ordre, a une dévotion mariale extraordinaire. Le jour de Noël 1517, il célèbre la messe à Rome, dans la basilique Sainte-Marie-Majeure. Juste après la consécration, alors qu’il élève le calice, la Vierge Marie lui apparaît, accompagnée de l’Enfant Jésus. Aux dires des nombreux témoins, le corps de Cajétan reste totalement immobile pendant de longues minutes, pendant lesquelles les clercs qui l’entourent et les fidèles n’osent dire un mot. Puis, il reprend le cours de la liturgie, comme si de rien n’était. En 1534, sur son lit de mort, Marie lui apparaît une seconde fois et le soutient dans la foi. Ces faits sont connus, puis diffusés rapidement après son trépas. Plusieurs sources les évoquent, et on ne peut pas imaginer que Cajétan ait menti, ou qu’il se soit grossièrement trompé. De même, il est difficile d’imaginer que l’assemblée de fidèles réunis dans la basilique de Sainte-Marie Majeure ait tout entière été la proie d’une illusion d’optique.

Cajétan, tout prélat qu’il est, cultive sa vie durant une modestie confondante, non seulement à l’égard du pape, de la curie romaine et des évêques, mais aussi de ses frères en religion, les Dominicains, au sein desquels il assume pendant de longues années la charge de Maître général, et, plus encore, de tous les croyants, quel que soit leur rang social. De lui, ce n’est pas d’un journal spirituel dont nous disposons, mais de véritables livres, qu’il considère comme une adaptation du message évangélique aux hommes du XVIe siècle, et non comme des œuvres originales en elles-mêmes. Sa bibliographie, qui compte plus de 25 titres, n’est pas d’abord une théorie intellectuelle mais une forme de catéchisme à l’usage de ses contemporains. Il ne voit et ne veut qu’une chose dans son activité éditoriale, politique et diplomatique : servir le Christ comme lui a servi les hommes.           

Patrick Sbalchiero


Aller plus loin :

Guillaume de Tanoüarn, Cajétan, le personnalisme intégral, Paris, Le Cerf, 2009. 


En savoir plus :

  • R.P. Girard, Les Vies des saints du mois de juillet, 53, t. 2, Paris, 1904, p. 335-337.
  • Yves Congar, « Bio-bibliographie de Cajétan », Revue thomiste, t. 19, 1934, p. 1-49.
  • Patrick Sbalchiero, « Cajétan (Giacomo de Vio, théologien, 1469-1534) », dans René Laurentin et Patrick Sbalchiero (dir.), Dictionnaire des apparitions de la Vierge Marie, Paris, Fayard, 2007.
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