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TOUTES LES RAISONS DE CROIRE
Conversions d'athées
n°243

Paris

1830

La conversion inespérée d’un bourreau de la Terreur

Parmi les nombreux nécessiteux dont s’occupe Rosalie Rendu, une Fille de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, dans le quartier Mouffetard, un la préoccupe : un vieillard infirme, athée militant, qui se vante d’avoir participé, à Nantes, durant l’hiver 1793-1794, aux effroyables noyades organisées afin d’accélérer l’éradication des catholiques et des prêtres qui encombraient les prisons de la ville. Devant l’agressivité du personnage et la fierté qu’il tire de ses crimes, nul ne doute qu’il soit damné d’avance. Sauf sœur Rosalie.

© Shutterstock / Sidney de Almeida
© Shutterstock / Sidney de Almeida

Les raisons d'y croire :

  • Le vieil homme se vante de façon désagréable des exactions commises dans sa jeunesse, ce qui l’isole. Les insultes et la méchanceté dont il fait preuve ont déjà découragé maintes bonnes volontés. Seule sœur Rosalie, au nom du pardon des offenses, accepte de le secourir au même titre que n’importe quel indigent : servir Dieu en servant « nos seigneurs les pauvres ».

  • Les membres de la famille de Rosalie ont caché des prêtres pendant la Terreur et, ce faisant, ils ont chaque jour risqué leur tête. Ils n’ont donc jamais eu la moindre sympathie pour l’idéologie révolutionnaire. Tout ce que Rosalie fera pour cet homme relève purement d’un acte de charité posé pour l’amour du Christ et le salut d’une âme en danger de se damner.
  • Le vieil homme se montre particulièrement hostile à la « bonne sœur », engeance qu’il déteste ouvertement. Il lui fait mauvais accueil depuis plusieurs mois.
  • Auprès de lui, sœur Rosalie ne fait ni prosélytisme ni moralisme : elle se contente de donner l’exemple d’une charité vraie, constante, répétitive. Elle donne simplement à l’homme un exemplaire de la médaille miraculeuse, qui vient d’être révélée à sœur Catherine Labouré par Notre Dame, en novembre 1830. La diffusion et la popularisation de la médaille connaissent un succès fulgurant en raison des guérisons, protection, mais aussi conversions in extremis qu’elle suscite. En la donnant à son vieillard récalcitrant, Rosalie remet la cause en de meilleures mains que les siennes.
  • L’intervention de Notre Dame est discrète, mais patente : la médaille réveille chez le vieillard un souvenir enfoui depuis plus de quarante ans et dont il n’a jamais parlé à personne, mais où la dévotion mariale est prépondérante. Il se rappelle soudainement le cantique de saint Louis-Marie Grignion de Montfort à Notre Dame de la Bonne Mort : « Je mets ma confiance, Vierge, en votre secours ! Servez-moi de défense, prenez soin de mes jours, et quand ma dernière heure viendra fixer mon sort, permettez que je meure de la plus sainte mort », qu’il avait entendu chanter jadis par des Vendéens allant à l’échafaud.

  • En pleurs, l’homme au cœur si endurci demande à revenir au catholicisme. Il mourra peu après, pieusement, dans les bras de sœur Rosalie, en chantant jusqu’au bout « sa chanson ».

  • À l’incommensurable miséricorde de Notre Dame s’ajoute celle des suppliciés vendéens qui, au pied de l’échafaud, avaient justement pardonné à leurs bourreaux. Leur chant d’abandon et de confiance avait alors semé dans l’âme d’un des tueurs – cet homme dont s’occupe sœur Rosalie – des graines de conversion et de repentir qui ont fini par germer pour permettre son salut.

Synthèse :

La misère est grande dans le quartier Mouffetard, à Paris, en ces années 1830. Le chômage y est endémique, l’agitation révolutionnaire aussi. La révolution de Juillet, en 1830, les émeutes du printemps 1832 – immortalisées par Hugo dans Les Misérables –, et l’épidémie de choléra qui a désolé la capitale à partir du Mardi gras 1832, avant de se répandre dans toute la France, y ont fait des milliers de victimes. Tant de malheurs ont aigri un peu plus la population contre tout ce qui représente l’ordre. L’Église est supposée faire partie de cet « ordre bourgeois », et cette conviction entretient une haine tenace contre la foi catholique. Pourtant, la plupart des habitants du quartier survivent grâce aux secours dispensés par ces « bondieusards » qu’ils insultent. Une femme a pris en main, sans jamais faire de tri entre les détresses, ces œuvres caritatives : « Je suis Fille de la Charité et je viens en aide aux malheureux partout où je les rencontre. Je cherche à leur faire du bien sans jamais les juger », affirme-t-elle, et c’est vrai.

Née à Confort, dans le diocèse de Belley, le 9 septembre 1785, Jeanne Marie Rendu grandit en pleine Terreur, et prend le nom de sœur Rosalie quand elle est entre à seize ans chez les Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul. Elle a maintenant passé la cinquantaine et n’a jamais quitté le bureau de charité, où elle a été affectée en 1800, étendant peu à peu ses activités à toutes les détresses qui lui sont signalées.

Sœur Rosalie est l’exemple achevé de ce que saint Vincent de Paul voulait pour ses Filles de la Charité : « une bonne fille de la campagne », sans histoire, sans penchant pour les rêveries mystiques, capable d’abattre sans se plaindre des besognes harassantes et peu ragoûtantes, servant Dieu en servant « nos seigneurs les pauvres ». Organisatrice efficace, d’un courage jamais pris en défaut quand il s’agit de faire le bien, n’ayant peur de rien, elle fait ce qu’il faut et ce qu’elle doit sans se monter la tête en imaginant des miracles. Elle se targue encore moins d’en faire.

Sœur Rosalie Rendu s’occupe, entre autres, dans les années 1830, d’un vieillard dont les insultes et la méchanceté ont découragé déjà maintes bonnes volontés. Cet homme est un ancien sans-culotte qui, en 1794, a participé à Nantes aux crimes du député Carrier, en mission dans l’Ouest, et dont l’une des innovations fut, pour accélérer le massacre des prisonniers – pelotons d’exécution et guillotine allant trop lentement à son goût pour vider les prisons encombrées –, de noyer chaque nuit des dizaines de malheureux entassés dans les cales de vieilles gabarres que l’on coulait au milieu du fleuve. Pour ajouter du piment à l’affaire, les bourreaux mettaient en scène des « mariages républicains » consistant à ligoter les suppliciés, nus, deux par deux, un homme et une femme, de préférence un adolescent et une vieille, une jeune fille et un vieillard, un prêtre et une religieuse. Ces fantaisies ont envoyé Carrier et ses complices à l’échafaud dès la fin 1794, car elles portaient atteinte à la réputation de la Révolution.

Simple comparse, le vieillard a pu regagner Paris et s’y faire oublier, mais il n’a jamais renié ses « hauts faits » de jeunesse, ce qui explique l’isolement dans lequel il survit et dont seule la charité de sœur Rosalie le sort.

En effet, dans la première moitié du XIXe siècle, les contemporains de la Révolution sont encore très nombreux et, tant qu’ils seront en vie, personne n’idéalisera ces années terribles. Tout au contraire ! Elles inspirent à la majorité, qui se souvient des massacres et crimes commis, une profonde horreur. Aussi les acteurs identifiés de ces exactions – qu’ils s’en vantent ou pas, maintenant qu’ils ont perdu le pouvoir et, avec l’âge, toute capacité de nuire – sont ostracisés par leur voisinage, qui les abandonne à leur solitude, leur misère, leurs remords peut-être. Seuls les catholiques, au nom du pardon des offenses, acceptent de les secourir au même titre que n’importe quel indigent.

En digne Fille de la Charité, sœur Rosalie participe au mouvement de popularisation de la médaille miraculeuse révélée à sœur Catherine Labouré par Notre Dame en novembre 1830. Frappée à la demande de l’archevêque de Paris, Mgr de Quelen, dans le contexte de l’épidémie de choléra de 1832, mais sans révéler l’identité de la voyante et les circonstances des apparitions, la médaille connaît une très large diffusion et un succès fulgurant en raison des guérisons, protection, mais aussi conversions in extremis qu’elle suscite. En la donnant à son vieillard récalcitrant, Rosalie remet la cause en de meilleures mains que les siennes. Le miracle se produit, mais sans rien d’extraordinaire, du moins à première vue.

L’intervention de Notre Dame est patente, car la médaille réveille chez le vieillard un souvenir enfoui depuis plus de quarante ans et dont il n’a jamais parlé à personne, mais où la dévotion mariale est prépondérante. Il se rappelle soudain un matin de l’hiver 1794, à Nantes, où il était venu assister au passage de la charrette qui conduisait les condamnés à la guillotine. Ces condamnés étaient des prisonniers vendéens qui, en allant à la mort, avaient entonné le cantique de saint Louis-Marie Grignion de Montfort à Notre Dame de la Bonne Mort, très connu dans l’Ouest : « Je mets ma confiance, Vierge, en votre secours ! Servez-moi de défense, prenez soin de mes jours, et quand ma dernière heure viendra fixer mon sort, permettez que je meure de la plus sainte mort. » Étrangement, alors qu’il était venu insulter ces agonisants et se moquer d’eux, au milieu des cris de la foule, le sans-culotte a entendu ce chant, de sorte que la mélodie, ainsi que chaque mot, s’est imprimée dans sa mémoire et y est restée. Pendant des années, sans y faire attention ni bien comprendre ce qu’il disait, il l’a chanté et rechanté, permettant à la Vierge de la Bonne Mort de travailler son âme.

Pendant des mois, il avait fait mauvais accueil à cette « bonne sœur », engeance qu’il déteste. Mais un matin, parce qu’il n’a rien d’autre à offrir à cette femme secourable, il lui dit : « Tenez, ma sœur, je vais vous chanter une chanson que je connais depuis bien longtemps » et, au lieu du refrain révolutionnaire ou du chant de cabaret qu’attendait sœur Rosalie, il entonne le cantique entendu jadis, que celle-ci écoute jusqu’au bout avant de s’écrier : « Que c’est beau ! Où l’avez-vous appris ? » Et il lui raconte ce triste matin, ces gens qui allaient mourir et chantaient, et cette petite musique taraudante qui le poursuit depuis…

D’un seul coup, il comprend ce qu’il chantait, et le miracle accompli en sa faveur. En pleurs, il demande à revenir au catholicisme. Il mourra peu après, pieusement, dans les bras de sœur Rosalie, en chantant jusqu’au bout « sa chanson ».

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin :

Louise Sullivan, Sœur Rosalie Rendu, une passion pour les pauvres, Mediaspaul, 2007.


En savoir plus :

  • La bande dessinée d’Agnès Richomme, Sœur Rosalie, l’apôtre du quartier Mouffetard, collection « Belles histoires et belles vies », Fleurus, 1965.
  • Jeanne Dannemarie, À travers trois révolutions, Rosalie Rendu, Fille de la Charité (1786 – 1856), Plon, 1947.
  • Claude Dinnat, Sœur Rosalie Rendu ou l’amour à l’œuvre dans le Paris du XIXe siècle, L’Harmattan, 2001.
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