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Bilocations
n°462

France

XVIIe siècle

« Je l’ai prise pour Notre Dame »

Un soir de 1633, rue Saint-Lazare, à Paris, dans la maison que Vincent de Paul a fondée pour les futurs prêtres, Jean-Jacques Olier s’essaie à faire oraison. S’il approche du sacerdoce, cet état, voulu par ses parents, lui déplaît et c’est avec angoisse et regret que ce mondain se prépare à devenir prêtre. Soudain, stupéfait, il s’aperçoit qu’une jeune femme très majestueuse est entrée – chose a priori impossible – dans sa cellule. D’une voix affligée et les yeux ruisselants de larmes, elle dit, avant de disparaître : « Je pleure sur toi. » Telle est la première rencontre de Jean-Jacques Olier avec Agnès de Langeac (1602 – 1634), une grande mystique française.

© Shutterstock/Wanan Wanan
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Les raisons d'y croire :

  • jeune homme, bien habillé, bien coiffé, amateur de fêtes et de divertissements, n’est pas enclin aux expériences mystiques. L’incursion du surnaturel dans sa vie est imprévisible ; il n’a pu inventer ce phénomène.
  • Ce n’est pourtant pas la première fois qu’il reçoit un signe du Ciel. Pendant le carnaval 1629, alors qu’il s’amusait avec des amis à la Foire Saint-Germain, une passante s’est arrêtée devant lui et lui a dit : « Ah, monsieur l’abbé, que vous me donnez de la peine et que je dois prier pour votre conversion ! » Cette inconnue avait, elle aussi, les yeux pleins de larmes en le regardant et, bien qu’il ait feint de se moquer, l’incident l’a troublé, au point de se renseigner sur cette femme. Il s’agit de Marie Rousseau, une mystique qui concilie vie contemplative, devoirs familiaux et professionnels. Elle prie pour la conversion des prêtres et les vocations et elle a parfois des lumières sur l’avenir.

  • Or, s’il est vrai que l’incident a frappé Olier, il éprouve toujours en 1633 la même répugnance au sacerdoce. C’est dans ce contexte que la belle inconnue est entrée dans sa cellule et lui a dit, comme Marie Rousseau, qu’elle devait prier et pleurer pour qu’il se convertisse et accepte les vues de Dieu sur lui. Même s’il se sait indigne d’une apparition mariale, Olier, qui n’a jamais entendu parler de bilocation, croit avoir eu une visite de la Sainte Vierge. « J’ai cru que c’était Notre Dame », dira-t-il plus tard.

  • Pour lui interdire de penser à un rêve ou à une hallucination, l’inconnue a laissé deux objets sur la table de la cellule : son crucifix et le mouchoir avec lequel elle s’essuyait les yeux. Ces objets sont réels, tangibles, et leur présence est impossible à remettre en cause.
  • Quelques jours plus tard, l’inconnue revient. Olier, qui a repris ses esprits, ose la regarder et constate qu’elle porte l’habit des Dominicaines. Ce n’est donc pas la Sainte Vierge. Elle lui redit qu’elle prie pour sa conversion.
  • Cette conversion n’est pas encore faite et prendra du temps. C’est en 1640, lors d’un voyage en Italie, que l’abbé de Pébrac (autre titre du père Olier), par curiosité et non par dévotion, s’arrête au sanctuaire Notre-Dame, à Lorette (Italie), où il est guéri d’une ophtalmie qui le menaçait de cécité. Cette fois, ses réticences tombent et il accepte d’être le prêtre que Dieu veut qu’il soit.
  • Sur le chemin du retour vers Paris, il fait halte au couvent des dominicaines de Langeac, ayant entendu parler des charismes de la prieure, mère Agnès. Étonnement avertie de sa venue, celle-ci demande à le recevoir au parloir. À peine a-t-il vu la femme de l’autre côté de la grille, Olier s’écrie : « Ma Mère, je vous ai vue ailleurs. » Imperturbable, mère Agnès lui répond : « Oui, deux fois, à Paris, où je vous suis apparue dans votre retraite de Saint-Lazare, car j’avais reçu ordre de Notre Dame de prier pour votre conversion. Dieu vous destine à jeter les premiers fondements des séminaires de France. » Ce programme ne tente pas le jeune prêtre qui rêve d’évangélisation au Canada ; mère Agnès est cependant formelle.

  • Le 29 décembre 1641, Monsieur Olier fonde le séminaire de Saint-Sulpice et la congrégation des Prêtres du Clergé, vouée à la formation des futurs prêtres. Ainsi s’accomplissent, non sans grandes épreuves, les prophéties de Marie Rousseau et celles d’Agnès de Langeac.
  • Agnès de Langeac s’éteint le 19 octobre 1634, quelques mois après sa rencontre avec Olier. Ce début d’amitié survivra à la mort de la dominicaine : mère Agnès apparaîtra plusieurs fois à Jean-Jacques Olier.
  • Fait exceptionnel, lors de la béatification de mère Agnès, en 1994, le Vatican a tenu à affirmer qu’en dépit des innombrables événements surnaturels survenus tout au long de sa courte vie, susceptibles de heurter nos mentalités modernes rationalistes, l’Église les tenait tous pour vrais et incontestables.

Synthèse :

Agnès Galand, fille d’un artisan coutelier, naît au Puy-en-Velay le 17 novembre 1602. Très tôt, l’enfant vit en présence du monde invisible : son ange gardien, la Vierge Marie, le Christ. Privilège rarissime alors, elle est autorisée à faire sa première communion à huit ans. Quelques mois plus tôt, elle s’est consacrée à Marie, lui promettant « de la servir toute sa vie et d’être à jamais son esclave », promesse qu’elle matérialise en s’imposant le port d’une chaîne de fers. Elle fait vœu de virginité. Dès lors, les apparitions se multiplient, consolantes quand elles sont du Ciel, terrifiantes quand elles sont du diable, qui fait tout pour l’empêcher de se donner au Christ. Ses parents tentent de la marier malgré elle, mais son directeur de conscience dominicain, dont elle a délivré le père du purgatoire par ses prières, convainc ses parents de lui permettre le célibat. En attendant de trouver une communauté, Agnès assiste les femmes enceintes, accouchées et jeunes mères, pour lesquelles elle fonde une œuvre de secours.

Acceptée en 1623 comme converse àl’abbaye dominicaine de Langeac, elle est finalement reçue comme sœur de chœur – place que son manque d’instruction et de dot devrait lui interdire –, quand la communauté comprend les charismes de cette nouvelle venue, en colloque permanent avec l’au-delà. Elle fait profession le 2 février 1625, se consacre à la prière pour les âmes du purgatoire, les vocations et les prêtres, et s’impose dans ce but de terribles pénitences. Ayant reçu le don des larmes, elle pleure ses péchés et ceux des autres.

Depuis 1623, elle a reçu les stigmates invisibles, mais la plaie du côté se met bientôt à saigner à flots, sans doute après sa transverbération et un échange de son cœur avec celui du Christ, de sorte qu’elle ne peut plus cacher les grâces reçues. Certaines sœurs s’étonnent de la voir suivie dans le cloître par un tout petit et très bel agneau, avant de comprendre qu’il s’agit de l’Agneau mystique. Agnès expérimente ses premières bilocations et visite de nombreux couvents, qu’elle trouve plus fervents que le sien. Elle déclare alors à ses compagnes : « Il nous manque l’Amour pour être de bonnes religieuses. »

Elle tombe très gravement malade, et aspire à la mort. Jésus lui répond : « Tu m’es encore nécessaire pour une âme que je veux que tu m’obtiennes. » Cette âme, c’est celle d’Olier, qui, par ses séminaires, en gagnera tant d’autres. Sa mission accomplie, Agnès meurt en 1634.

Lorsque Jean-Jacques Olier meurt en 1657, épuisé, à l’âge de cinquante ans, son œuvre en plein développement s’étend déjà jusqu’en Nouvelle-France, où les Messieurs de Saint-Sulpice fonderont Montréal.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Au-delà des raisons d'y croire :

  • Au XVIIe siècle, l’Église française a un immense besoin de formation. Certains clercs analphabètes sont incapables de dire la messe ou de mémoriser les formules du baptême et de l’absolution… Jean-Jacques Olier, comme d’autres figures saintes, désire œuvrer pour la formation des prêtres. Vincent de Paul fonde un premier séminaire destiné à former des prêtres pieux pour une nouvelle évangélisation des campagnes abandonnées. En Normandie, Jean Eudes ne tardera pas à en faire autant.

Aller plus loin :


En savoir plus :

  • Vie de la vénérable mère Agnès de Jésus de l’ordre de saint Dominique par un prêtre du clergé, Le Puy, 1718.
  • Jean-Claude Sagne, Agnès de Langeac, Le Cerf, 2006.
  • Renée de Tryon-Montalembert, Agnès de Langeac, Mame, 1994.
  • Arnaud Boyre, Grand Mémoire sur Agnès de Langeac, Arfuyen, 2004.
  • Sœur Marie de la Trinité, Agnès de Langeac, moniale dominicaine, mère spirituelle de Jean-Jacques Olier, (2e édition) Langeac, 2001.
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