L’illumination spirituelle de Louise de Marillac

En 1613, Louise de Marillac, fille d’aristocrate, est contrainte d’épouser Antoine Le Gras. À l’Ascension 1623, Louise traverse une crise spirituelle terrible, qui dure dix jours et dont elle émerge miraculeusement à la Pentecôte. Cette illumination spirituelle la libère de ses anxiétés et de sa culpabilité. Après une rencontre providentielle, elle devient la collaboratrice de Monsieur Vincent, l’assistant dans toutes ses actions charitables. En 1633, devenue veuve, elle rassemble dans sa maison les premières Filles de la Charité, qui viennent en aide aux exclus de leur temps. Son œuvre se poursuit après sa mort, le 15 mars 1660, et la congrégation connaît un essor formidable. En 1934, Louise de Marillac est canonisée par Pie XI et, en 1960, Jean XXIII la déclare « patronne de tous ceux qui s’adonnent aux œuvres sociales chrétiennes ».

Les raisons d'y croire :

• La jeune Louise de Marillac ressent le désir de se donner à Dieu, mais ce désir est empêché par la décision de son tuteur, qui s’oppose au choix de sa nièce d’entrer chez les Capucines et la marie à Antoine Le Gras. Un seul enfant, Michel, naît à leur foyer, en octobre 1613. Prématuré, il est fragile et le restera, causant à sa mère des affres continuelles ; dans le même temps, Antoine tombe malade, rongé par la tuberculose. La fatigue et la gravité de son état le rendent acariâtre, difficile à vivre, jamais content de rien, prompt à s’en prendre à sa femme, de sorte que le quotidien de Louise devient pénible, amer, triste et épuisant.

• Peu à peu, elle se persuade que cette avalanche de malheurs est un châtiment divin pour avoir manqué à son vœu et qu’elle est responsable des maux de son époux et de son fils. Madame Le Gras est si convaincue de sa responsabilité dans les malheurs des siens qu’elle envisage d’abandonner Michel et Antoine, de se retirer dans un couvent et d’y faire pénitence.

• Le pire est qu’elle ne trouve aucun secours, ni auprès de son oncle Marillac ni auprès de son directeur de conscience, le jeune évêque de Belley, Mgr Camus, qui ne comprennent pas la détresse ni le sentiment de culpabilité de Louise.

• C’est donc une jeune femme très éprouvée qui affronte une crise mystique à l’Ascension 1623 : Louise est livrée à elle-même, sans autre appui qu’un Dieu qu’elle pense irrité contre elle et qui, soudain, se dérobe, au point qu’elle doute de son existence. Il lui semble soudain que des ténèbres impénétrables se sont abattues sur elle : brusquement, elle ne croit plus en Dieu ni en la vie éternelle ; rien n’a plus de sens, elle est seule face à une existence douloureuse. Tout n’est plus autour d’elle que noirceur et désespoir ; elle est comme plongée dans un gouffre obscur et sans fond dont elle craint de ne jamais ressortir. Dans ce contexte, il est impossible que madame Le Gras ait pu se sortir seule, sans un secours miraculeux, de cette crise qui manque de la détruire. Cette déréliction dure dix jours, autant dire l’éternité.

• Le dimanche de Pentecôte 1623, Louise se rend à la messe comme à l’accoutumée, bien qu’elle soit alors au fond de l’abîme et persuadée d’avoir perdu la foi. Elle fait pourtant oraison. Et, d’un seul coup, les ténèbres et les angoisses qui la cernent disparaissent, la laissant baignée de paix et de lumière. Elle ne doute plus ni de l’existence de Dieu ni de son amour envers elle. Il n’y a à ce changement instantané aucune explication rationnelle. Il ne s’agit pas du fruit plus ou moins conscient d’une réflexion personnelle mais d’une illumination d’en haut. « Ma peine me fut ôtée par l’assurance que je sentis dans mon esprit que c’était Dieu qui m’enseignait […] et que, y ayant un Dieu, je ne devais douter du reste. »

• Ce n’est pas tout. Louise bénéficie en même temps de sa première expérience mystique, ainsi que de révélations sur son avenir et sur ce qu’elle doit faire. Elle comprend en un éclair qu’elle ne doit abandonner ni son mari malade ni son fils, que Dieu ne le lui demande pas, et qu’elle va renouer avec sa vocation religieuse dans des circonstances qu’elle ne peut imaginer : « Je fus avertie […] qu’un temps devait venir que je serais en état de faire vœu de pauvreté, chasteté et obéissance et que je serais dans une petite communauté où quelques-unes feraient le semblable (feraient de même). J’entendais lors être en un lieu pour servir le prochain mais je ne pouvais entendre comment cela se pouvait faire. »

• Louise avoue ne pas comprendre comment cette annonce pourrait se réaliser, ce qui exclut une projection de ses propres désirs et attentes, d’autant qu’elle a toujours aspiré à une vie cloîtrée contemplative et non à l’œuvre qu’elle va fonder – une œuvre révolutionnaire, car l’Église n’a encore jamais permis à des religieuses ce type d’existence : les Filles de la Charité.

• Enfin, le Ciel répond aussi aux angoisses spirituelles de Louise : « Je fus encore assurée que je devais demeurer en repos sur mon directeur et que Dieu m’en donnerait un bientôt qu’il me fit voir, il me semble, et sentis répugnance d’accepter ; néanmoins, j’acceptai. » Là encore, il ne peut s’agir d’une projection de ses propres désirs : non seulement elle n’a jamais vu le prêtre qui lui est montré dans une sorte de vision, mais, de surcroît, il est si différent des directeurs bien nés et riches qu’elle a connus qu’elle « éprouve de la répugnance ».

• En effet, quelques mois plus tard, en 1624, Mgr Camus la confie à un jeune prêtre, Monsieur de Paul, en qui Louise reconnaît aussitôt celui de sa vision. C’est à l’occasion de circonstances similaires qu’en 1604, Dieu a conduit l’un vers l’autre François de Sales et Jeanne de Chantal. Louise y verra la preuve que feu le saint évêque de Genève, qu’elle avait prié pour bénéficier de son intercession, est intervenu pour l’arracher à ses peines.

• L’on a parfois voulu relire la vie de Louise de Marillac, comme celles d’autres mystiques et figures de sainteté, à l’aune de la psychanalyse. Mais il est impossible de tout expliquer par une fragilité psychologique et affective. Rien ne permet d’arriver à la conclusion que l’épisode de nuit de l’âme qu’elle traverse en 1623 viendrait de ses sentiments de culpabilité et de ses frustrations. Car, en dépit d’une tendance aux scrupules, dont saint Vincent de Paul la libérera, Louise est une femme équilibrée, rationnelle et pleine de bon sens, organisatrice et dirigeante née, comme le reste de sa vie le prouvera d’abondance.