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Les martyrs
n°363

Cambrai (France)

26 juin 1794

Filles de la Charité, elles prédisent la fin des persécutions

Début 1794, malgré les lois interdisant la vie religieuse, une communauté de Filles de la Charité existe toujours à Arras et continue ouvertement ses activités caritatives, avec un dispensaire et une école de filles gratuits. Le conventionnel en mission Joseph Lebon, chargé d’imposer par la manière forte les idéaux révolutionnaires dans le Pas-de-Calais, cherche à se débarrasser de ces religieuses d’âge mûr, intouchables en raison de tout le bien qu’elles ont fait. Leur seul crime étant de rester catholiques, c’est incontestablement en haine de la foi qu’elles seront mises à mort à Cambrai le 26 juin.

© Shutterstock, Zhitnikov Vadim.
© Shutterstock, Zhitnikov Vadim.

Les raisons d'y croire :

  • Dans la maison d’Arras, six Filles de la Charité, en dépit du danger, ont librement choisi de rester à leur poste, quoi qu’il arrive. La supérieure générale avait recommandé en avril 1792 : « Je vous prie de ne pas abandonner le service des pauvres si vous n’y êtes pas forcées, pourvu qu’il n’y ait rien contre la religion, l’Église et la conscience. » La supérieure, mère Marie-Madeleine Fontaine, refuse cependant pour elle et sa communauté le nouveau serment dit « de liberté-égalité » contraire à la religion. Elles savent, ce faisant, se mettre hors la loi et ce qu’elles risquent, mais elles estiment moins leur vie que leur fidélité au Christ.

  • Même l’arrivée de Joseph Lebon, prêtre apostat qui voue une haine féroce à l’Église, et la Terreur qu’il instaure ne font pas renoncer ces femmes courageuses à leur mission envers « nos seigneurs les pauvres », images du Christ qu’elles ont choisi de servir à travers eux. Cette abnégation est lucide, réfléchie, héroïque.

  • Le maintien de cette maison met Lebon en fureur. Il y a dans l’acharnement féroce de cet ancien prêtre contre ceux et celles qui n’ont pas, comme lui, renié leur Dieu, une dimension infernale. Pour les perdre, il trouve des faux témoins et place de fausses preuves – des journaux hostiles à la Révolution – dans leur maison. Cet acharnement à perdre par le mensonge des innocentes qui ont passé leur vie à faire le bien dénote une haine inhumaine.
  • Dans la soirée du 13 février 1794, mère Fontaine est avertie par des amis qu’elle conserve à la municipalité qu’elles seront emprisonnées le lendemain. Les Filles de la Charité pourraient fuir mais ne le font pas. Elles acceptent pleinement l’éventualité du martyre.
  • Elles sont arrêtées le 14 février. En prison, où les conditions d’incarcération sont très pénibles, les prisonniers trop nombreux, la promiscuité insupportable, elles ne se plaignent de rien. Au contraire, elles viennent en aide à tous, relèvent le moral et le courage de leurs compagnons qui témoigneront de « leur abandon complet entre les mains de Dieu, leur prière continuelle, leur espérance supérieure à toute crainte, leur souci constant des autres, leur compassion pour les malheurs de tous ». Loin de se révolter contre leur sort, les Filles de la Charité offrent leur mort pour le salut de leurs codétenus et la fin des persécutions.

  • Sœur Fantou trouve le moyen d’écrire une dernière lettre à sa famille en Bretagne, dans laquelle elle donne cette ligne de conduite, la sienne : « Tout souffrir plutôt qu’abandonner la foi. »

  • À l’instant de quitter la prison, sœur Fontaine annonce à ses codétenues affolées et en larmes, d’un ton de certitude absolue : « Ne vous désolez pas, Mesdames, Dieu aura pitié de vous et vous aurez toutes la vie sauve. Si nous vous précédons au tribunal, c’est que nous en serons les dernières victimes. »Elle répétera cette prophétie le lendemain à la sortie du tribunal, puis devant l’échafaud en des termes presque identiques, ce que de nombreux témoins ont rapporté. Or, dans le contexte de ce début d’été, l’annonce est invraisemblable car la Terreur s’emballe, faisant chaque jour plus de victimes. Qu’elle puisse connaître une fin subite dans un bref délai est a priori impossible.

  • Pourtant, contre toute attente, après l’exécution des sœurs le 26 juin, le Tribunal révolutionnaire de Lebon ne se réunira plus et il n’y aura plus d’exécutions à Cambrai. Le 27 juillet, ou 9 thermidor, Robespierre est renversé puis guillotiné le lendemain avec ses amis. Joseph Lebon sera arrêté, mis en accusation pour les crimes commis durant son mandat et exécuté. Les martyres d’Arras, comme celles d’Orange et de Compiègne le mois suivant, qui font la même annonce avant de mourir, ont acheté de leur mort la fin de la Terreur et le début d’apaisement de la persécution religieuse.

Synthèse :

Alors que la persécution religieuse s’intensifie depuis 1791 et que les congrégations sont interdites, et leurs membres obligés de se disperser et de rentrer dans la vie civile, sous peine de prison, puis de mort, les Filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, bien qu’elles aient dû officiellement fermer leurs maisons en avril 1792, ont été moins frappées par les persécutions religieuses. Un peu en raison de leur statut canonique, qui ne fait pas d’elles des religieuses au sens juridique du terme, beaucoup parce que les municipalités qui les abritent savent ne pouvoir se passer de ces femmes, à la fois infirmières, éducatrices, assistantes sociales, d’un dévouement illimité, sans lesquelles pauvres, malades, vieillards resteraient abandonnés car la République n’a rien prévu en termes d’aides sociales.

Cela explique pourquoi, début 1794, une maison de la Charité existe toujours à Arras. Fondée par saint Vincent de Paul et sainte Louise de Marillac, cette maison est dirigée par Marie-Madeleine Fontaine (née à Étrépagny, dans l’Eure, le 22 avril 1723). Avec elle, Marie-Anne Françoise Lanel (née à Eu en 1745), Thérèse-Madeleine Fantou (de Miniac-Morvan, en Bretagne, née le 29 juillet 1747) et Jeanne Gérard (née en 1752 à Cumières, en Lorraine). Toutes sont entrées très jeunes dans l’œuvre de saint Vincent de Paul et ont consacré leur vie à éduquer les fillettes pauvres, visiter malheureux et démunis, soigner les malades et les vieillards abandonnés. Mère Marie-Madeleine sait le risque auquel elle s’expose avec ses filles en poursuivant leurs activités, si bien qu’elle met en sécurité les deux plus jeunes sœurs de la maison, envoyées en Belgique.

Protégées par la population, on pourrait les croire intouchables. Mais, le 5 février 1794, le député Lebon nomme directeur de l’établissement, rebaptisé « Maison de l’humanité », un certain André Mury, « âme basse » diront les contemporains, dont la mission est, à défaut de trouver des preuves contre les sœurs, d’en fabriquer. Cet homme va introduire et cacher dans la maison des journaux et tracts contre-révolutionnaires afin qu’ils soient découverts lors d’une perquisition.

Lebon hésite à faire déférer les sœurs devant son tribunal par peur de la réaction populaire. Mais, mi-juin, il est appelé à Cambrai, où il transporte le Tribunal révolutionnaire. Dans cette ville où elles ne sont pas connues, il lui sera plus facile de se débarrasser d’elles. Précaution supplémentaire afin d’éviter toute révolte populaire, c’est tard dans la soirée du 25 juin 1794, alors qu’un premier convoi de prisonniers promis à l’échafaud a déjà quitté Arras, qu’il donne ordre de transférer aussi « à grand trot et sans perdre un instant » les quatre sœurs.

Présentées devant le Tribunal révolutionnaire à Cambrai, les Filles de la Charité refusent une dernière fois de prêter le serment de « liberté-égalité », alors qu’on leur laisse miroiter leur remise en liberté si elles l’acceptent, le déclarant « contraire à leur conscience ». Mère Marie-Madeleine et ses « complices » sont accusées d’avoir appelé à l’insurrection et à la guerre civile et d’être « de pieuses contre-révolutionnaires ». En fait, le seul témoin qui se lève contre elles se bornera à dire les avoir entendues déclarer : « Il ne doit plus y avoir un seul diable en enfer ; ils sont tous en France maintenant. » Il n’en faudra pas plus pour les expédier à l’échafaud.

Elles sont condamnées à mort, et la sentence est immédiatement applicable. Alors qu’on leur attache les mains, le bourreau veut leur confisquer les rosaires qu’elles ne cessent de réciter, mais les martyres, qui ont jusque-là tout supporté sans se révolter, désireuses de s’associer de leur mieux à la Passion du Christ, refusent à grands cris de s’en dessaisir. Les assistants du bourreau, dans une volonté de les ridiculiser, ont l’idée de leur faire une couronne de leur chapelet posé sur leur tête rasée, vexation qu’elles acceptent comme une grâce.

À la nouvelle de leur condamnation, bien que ce 26 juin soit jour de marché, la place d’armes où se trouve la guillotine se vide, acheteurs et commerçants refusant d’être complices de ce crime, « préférant vendre à perte ! »

Au pied de l’échafaud, mère Fontaine, la dernière exécutée, à genoux avec ses filles, affirme encore : « Chrétiens, n’ayez pas peur ! Nous sommes les dernières victimes. D’ici peu, la persécution aura cessé, l’échafaud sera détruit et les autels du Christ se relèveront triomphants ! » Il en sera ainsi un mois après.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin :

P.J. Thénard, Quelques souvenirs du règne de la Terreur à Cambrai appuyés sur les pièces authentiques et recueillis de la bouche des témoins, 1860.


En savoir plus :

  • Abbé de Montléon, Les Martyrs de la foi pendant la Révolution française, 1821.
  • A.-J. Paris, La Terreur dans le Pas-de-Calais et dans le Nord. Histoire de Joseph Lebon et des tribunaux révolutionnaires d’Arras et de Cambrai, 1864.
  • A.-V. Deramécourt, Le Clergé du diocèse d’Arras, Boulogne et Saint-Omer pendant la Révolution, 1884.
  • Lucien Misermont, Les Vénérables Filles de la Charité d’Arras, dernières victimes de Joseph Lebon à Cambrai, Victor Lecoffre,1901.
  • Le site Internet des Filles de la Charité.
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