Newman cherche la véritable Église du Christ
Ce sont les études qu’il mène sur les écrits des Pères de l’Église qui conduisent John Henry Newman à se convertir. Né à Londres en 1801, il est d’abord étudiant à l’université d’Oxford, puis pasteur anglican et professeur à Oxford. Il découvre a posteriori, à la suite de ses études sur les doctrines de l’Église antique, que l’Église catholique est le garant de l’authenticité des formulations élaborées au cours des conciles de Nicée, de Constantinople et de Chalcédoine : elle seule en a conservé l’orthodoxie. Il se convertit donc au catholicisme en 1845. Il fonde l’Oratoire d’Angleterre en 1848 et est créé cardinal par le pape Léon XIII en 1879. Il meurt en 1889. Le pape François l’élève au rang des saints en 2019. Il est fêté le 9 octobre.
Oxford university, The Queen's College / © Kaofenlio, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons.
Les raisons d'y croire :
- Durant l’année scolaire 1816-1817, le jeune John Henri fréquente le révérend Walter Mayers, pasteur évangélique, qui lui fait prendre conscience de l’existence d’un Dieu non pas éthéré mais personnel. Newman abandonne un idéal de vie vertueuse d’où la religion serait absente pour chercher le chemin d’une foi personnelle en Dieu.
- Le livre du calviniste Thomas Scott, intitulé La Puissance de la vérité, qui lui est recommandé par le révérend Mayers, le touche au cœur. Il prend conscience de lui-même et du Créateur de toutes choses dans un même mouvement : il comprend que l’esprit est ce qu’il y a de plus grand en l’homme et, au moyen de cet esprit, il appréhende la vérité qu’est Dieu.
Newman compare la conscience à un messager de Dieu, qui enseigne ses règles à travers un voile. Il dit qu’elle est pour cette raison « le premier vicaire du Christ » (the aboriginal Vicar of Christ) : elle enseigne aux hommes ce qui est bon et ce qui ne l’est pas et bénit en apportant la joie et la paix à celui qui agit bien, ou maudit en ne laissant que le remords au malfaiteur (cf. Newman, Lettre au duc de Norfolk). C’est pourquoi pour Newman la conscience droite conduit au Christ.
- Les recherches que Newman mène sur les doctrines de l’Église primitive sont honnêtes et objectives : qui quitterait de bon cœur un statut social confortable, une carrière reconnue, une ville remarquable et un chez-soi apprécié, un métier passionnant et des amis de longue date pour l’inconnu – la communauté catholique en Angleterre était alors constituée principalement de travailleurs irlandais, pauvres et peu cultivés – et probablement la misère matérielle et le mépris de la plupart de ses anciennes connaissances ? Après tant de décennies de labeur, Newman renonce en 1843 à ses charges de professeur et d’aumônier universitaire si chèrement acquises. Seule l’attraction qu’exerce la vérité sur son esprit et, au-dessus d’elle, la vérité personnelle qu’est le Christ peut rendre compte de ce revirement qui, d’un point de vue seulement humain et superficiel, s’apparente à une destruction de l’individu par lui-même.
- Les études des écrits des Pères de l’Église que mène Newman sont aussi très approfondies et s’étalent sur plusieurs années. Il lit alors les écrits de saint Ignace, l’évêque d’Antioche, de l’apologète saint Justin, de saint Athanase, l’évêque d’Alexandrie, et de saint Cyprien, l’évêque de Carthage. Il se plonge aussi dans les œuvres des docteurs de l’Église saint Irénée, l’évêque de Lyon, et saint Grégoire le Grand.
- Nulle thèse ne guide les études patristiques de Newman : la quête de la vérité est leur seul moteur. Or, à partir de 1843, Newman abandonne définitivement les préjugés protestants contre l’Église catholique romaine. Au fil de ses lectures des écrits des écrivains sacrés et des Pères de l’Église de l’Antiquité chrétienne, il se demande avec une acuité grandissante où se trouve la véritable Église fondée par le Christ.
En 1839, la Dublin Review publie un article sur le donatisme qui cite la phrase de saint Augustin : « En toute sûreté, l’univers juge donc qu’ils ne sont pas bons, ceux qui se séparent de l’univers en quelque contrée de l’univers que ce soit » (Contra epistulam Parmeniani, 3, 3). En lisant ces mots, Newman et ses amis d’Oxford ne peuvent s’empêcher d’identifier les anglicans aux donatistes. Newman avoue qu’il doute de la validité de sa thèse : l’Église anglicane serait la juste voie (via media) entre le protestantisme et le catholicisme. Il rédige en 1845 l’Essai sur le développement de la doctrine, fruit de ses réflexions théologiques. La même année, avant même d’avoir achevé le livre, il devient catholique (ibid., p. 415).
- John Henry Newman explique sa démarche intellectuelle et de foi dans une autobiographie publiée en 1864, Apologia pro vita sua. Cet écrit témoigne d’une courageuse et persévérante recherche de la vérité qui a conduit l’auteur à la conversion au catholicisme.
- Le mouvement d’Oxford, dont Newman fut l’âme jusqu’en 1845, conduit en son temps, et encore des décennies après, à de nombreuses conversions au catholicisme. C’est par exemple le cas de l’archidiacre Henry Edward Manning et du pasteur anglican Robert Wilberforce. Le premier, qui rejoindra l’Église romaine en 1851, succédera en 1865 à Mgr Wiseman sur le siège de Westminster ; le second, converti en 1854, entrera au séminaire dans le but de devenir prêtre catholique, mais mourra avant son ordination. Beaucoup d’autres membres les accompagneront ou les suivront, entre autres– d’autres noms pourraient être cités en sus – Robert Hugh Benson, qui deviendra prêtre et romancier, John Chapman, moine bénédictin et théologien, Frederick William Faber, théologien et prêtre de l’Oratoire, Gerard Manley Hopkins, poète et prêtre jésuite, Ronald Arbuthnott Knox, prêtre qui dirigera une traduction anglaise de la Vulgate (la version latine de la Bible traduite par saint Jérôme), prêchera sur les ondes, mais écrira aussi des romans policiers. De tels fruits, éminents, ne peuvent venir que de Dieu.
Synthèse :
John Henri naît dans une famille whig, c’est-à-dire libérale, en 1801. C’est l’aîné d’une fratrie de six enfants. Le jeune John Henri est d’abord inscrit dans une école privée à Ealing, de ses sept ans à l’âge de quinze ans. À la suite des guerres napoléoniennes, son père, qui a fondé et dirige la banque Ramsbottom, Newman and Co, fait faillite en cette année 1816. La famille emménage alors dans la maison de campagne de Norwood, mais John passe l’été à Ealing. Il va alors entrer dans sa dernière année de collège, pendant laquelle il se lie avec le pasteur évangélique Walter Mayers. Ses conversations avec ce dernier détachent complètement Newman des idées sceptiques découvertes au cours de ses lectures des ouvrages de David Hume et de Thomas Paine, morts tous deux quelques années auparavant. Newman abandonne son idéal de vie vertueuse d’où la religion serait absente et trouve le chemin d’une foi personnelle en Dieu.
Admis au Trinity College d’Oxford en 1816, il suit les cours dispensés avec joie, assiduité et persévérance, et étudiebeaucoup par lui-même. De nature discrète, fuyant les fêtes mondaines, il se fait l’ami d’un étudiant de trois ans son aîné qu’il retrouve aux leçons, John William Bowden. Son père, ruiné, ne peut plus alors l’aider. John Henry demande donc une bourse, qui lui est accordée, mais qui ne couvre pas tous ses frais. Il lit les Private thoughts de l’évêque anglican William Beveridge, et interroge dans ses lettres le révérend Mayers sur la pertinence des dons sensibles au cours de la conversion : le baptême ne peut-il agir sans qu’une expérience sensible l’accompagne ? Une vive intelligence caractérise déjà le jeune adolescent.
Le livre du calviniste Thomas Scott, intitulé La Puissance de la vérité, qui lui est recommandé par le révérend Mayers, le touche au cœur. Il prend conscience de lui-même et du Créateur de toutes choses dans un même mouvement : c’est parce qu’il comprend que l’esprit est ce qu’il y a de plus grand en l’homme qu’il appréhende, au moyen de cet esprit et comme garant des règles de pensée de l’esprit, la vérité qu’est Dieu : « Cette croyance… m’isola des objets qui m’entouraient, elle me confirma dans la défiance que j’avais touchant la réalité des phénomènes matériels ; elle concentra toutes mes pensées sur les deux êtres – et les deux êtres seulement – dont l’évidence était absolue et lumineuse : moi-même et mon créateur » (Apologia pro vita sua, éd. « Ad solem », 2008, p. 121). John Henri retient deux phrases de Thomas Scott comme devises pour lui-même : « La sainteté plutôt que la paix » et « La croissance est l’unique preuve de la vie » (ibid., p. 124). Nul retour sur lui-même donc, vers son propre moi ; au contraire, selon le schéma augustinien, la découverte au fond de la conscience de la vérité qu’est Dieu – vérité qui est cependant extrinsèque à la conscience – ouvre tout son être au Dieu personnel. Il est donc sage de le poursuivre en cherchant à devenir comme lui, c’est-à-dire saint, plutôt que de jouir d’une paix fondée sur la possession des choses matérielles : cette dernière paix est d’ailleurs trompeuse parce que bornée en qualité comme en quantité, ainsi qu’éphémère. Le désir de perfection dont parle Newman (mieux connaître Dieu et mieux lui ressembler) est pour lui l’indice que la vie qu’un homme mène est authentiquement humaine. Ce Dieu dont il comprend avec joie qu’il dépend en toutes choses, c’est-à-dire intellectuellement comme dans l’ordre de l’action morale, le guide par une voix de l’intérieur de sa conscience, qui est comme un écho de la voix divine.
Il est admis en 1819 à la faculté de droit, le Lincoln’s Inn. Dix heures d’études quotidiennes constituent de longues journées, mais parce que sa timidité et son anxiété naturelles le desservent, il n’obtient son examen qu’avec un an de retard, et sans mention. Cependant, il est diplômé. Or, étonnamment, il annonce à son père sa volonté, non pas de faire carrière au barreau mais d’entrer dans l’Église anglicane. Pour subvenir à ses besoins matériels, il donne des cours particuliers et sollicite un poste de « lecteur » à Oriel College. Il entre donc en 1822 dans le cercle très fermé des « Noetics », c’est-à-dire des membres de ce collège considéré alors comme le plus remarquable intellectuellement de toute l’université. Il y rencontre des théologiens comme Richard Whately, futur archevêque anglican de Dublin, ou Edward Hawkins, qui s’opposera plus tard au « mouvement d’Oxford », et côtoie Edward Bouverie Pusey et John Keble, ecclésiastiques anglais qui seront des figures éminentes du « mouvement d’Oxford ». Durant les années passées àOriel College,John Henri affine sa pensée religieuse.
L’année 1824 voit son ordination diaconale dans l’Église anglicane, puis sacerdotale en 1825. Deux ans comme pasteur de la cure de Saint-Clément, pendant lesquels il publie des articles pour l’Encyclopædia Metropolitana, précèdent sa nomination, comme vice-principal, à Saint-Alban’s Hall, grâce à l’appui de Richard Whately. Puis il revient, comme tuteur, à Oriel College. Il y fréquente Richard Hurrell Froude, fellow (c’est-à-dire membre dirigeant) du collège comme lui,qui l’amène à la croyance en la Présence substantielle du Christ en l’hostie consacrée (le Christ y est présent réellement, en personne, et non symboliquement), et à se recommander à la Sainte Vierge.
Newman est nommé vicaire en 1828 de l’église de l’université, Saint Mary’s Church. Il soutient malheureusement la même année la nomination de Hawkins au poste de prévôt d’Oriel College. Le différend qu’il aura avec ce dernier à propos de la fonction du tutorat universitaire, que Newman considère comme essentiellement religieuse, le contraindra en 1832 à démissionner de son poste de tuteur au collège d’Oriel. Il avait pourtant reçu la charge de prédicateur à l’université pour l’année 1831-1832. Parallèlement, il se montre de plus en plus favorable à promouvoir la fonction du clergé dans l’Église anglicane, ce qui le sépare des protestants évangéliques. Son départ de la Church Missionary Society et de la Bible Society consomme sa rupture avec la tendance low church de l’Église d’Angleterre, soucieuse de dénuement liturgique et, au contraire, mettant l’accent sur l’importance de la prédication sur le salut individuel.
Newman décide alors d’accompagner Richard Hurrell Froude dans une croisière autour du bassin méditerranéen. Il écrit le recueil de poèmes intitulé Lyra Apostolica. À Rome, Newman fait la connaissance de Nicholas Wiseman, le futur archevêque catholique de Westminster. De là, il se rend seul en Sicile. L’enchantement des lieux cède souvent la place en son âme au désarroi : il tombe malade et considère cette épreuve comme une lutte entre sa volonté et celle de Dieu, au terme de laquelle, la santé recouvrée, il ne doute plus un instant de l’amour divin qui l’a choisi. Sur le bateau qui le ramène de Palerme à Marseille en juin 1833, il rédige les vers « Lead, Kindly Light », à la connotation très augustinienne : « Conduis-moi, douce lumière, parmi l’obscurité qui m’environne, conduis-moi ! / La nuit est sombre, et je suis loin du foyer, conduis-moi ! »
Son retour à Oxford, en juillet 1833, coïncide avec la naissance du mouvement d’Oxford, dont l’initiative revient à Keble et à Froude, et qui critique la mainmise de l’État sur l’Église anglicane et la sécularisation de cette dernière, cause du déclin de la vie religieuse. Pusey soutiendra publiquement le mouvement à partir de 1836. De 1833 à 1841, Newman, aidé de ses amis du mouvement d’Oxford, diffuse des feuillets imprimés, les Tracts for the Times, où il défend, explique-t-il, la mission sacrée de l’Église anglicane fondée sur la succession apostolique, et donc son autonomie vis-à-vis du pouvoir. Les sermons que Newman donne à Saint Mary’s expliquent aux jeunes étudiants venus l’écouter les idées ramassées dans les pamphlets, et des conférences les complètent à partir de 1836. Cette année-là, Newman devient rédacteur en chef de la British Critic, revue qui devient dès lors l’organe de presse du mouvement d’Oxford. Dans le quatre-vingt-dixième tract, de janvier 1841, Newman stipule que les doctrines de l’Église catholique romaine sont compatibles avec les Trente-neuf articles, décret fondateur de l’Église anglicane au XVIe siècle. Les évêques de l’Église anglicane réfutent son interprétation, et l’université d’Oxford la condamne. Un religieux passioniste italien, le père Dominique Barberi, écrit alors aux membres du mouvement d’Oxford, et ses arguments sont étudiés attentivement par ses correspondants. Peu à peu, au sein du mouvement, la place éminente de l’évêque de Rome est reconnue dans le cadre de la succession apostolique, et le mouvement évolue progressivement vers le catholicisme.
Le 9 octobre 1845, Newman est reçu dans la communion catholique par le père Barberi, qu’il choisit en raison de la sainteté de sa vie et de sa bienveillance envers le mouvement d’Oxford. Poussé par Wiseman, il part pour Rome en 1846 afin de se préparer à recevoir le sacerdoce catholique. Le pape Pie IX l’encourage et lui accorde d’entrer dans la congrégation de l’Oratoire, fondée par saint Philippe Néri au XVIe siècle. Il est ordonné prêtre le 30 mai 1847. Après avoir reçu la bénédiction du pape, il regagne l’Angleterre, où il fonde à Birmingham le premier Oratoire anglais, érigé canoniquement l’année suivante. Un de ses membres, Frederick William Faber, fondera en 1884 l’Oratoire de Londres. De nombreux anglicans se convertissent alors au catholicisme.
En 1854, Newman est nommé recteur de l’université catholique d’Irlande, mais des incompréhensions avec les évêques irlandais l’obligent à démissionner en 1857. De nombreuses attaques personnelles injustifiées le décident à publier en 1864 une autobiographie, dans laquelle il justifie sa démarche intellectuelle et de foi, l’Apologia pro vita sua. Dans la Grammaire de l’assentiment, en 1870, il démontre contre les philosophes empiristes (John Locke, David Hume et John Stuart Mill) la valeur de l’acte de foi. Deux reconnaissances officielles viennent adoucir les derniers jours de Newman : en 1878, il est nommé membre honoraire (ordinary fellow) de l’université d’Oxford. L’année suivante, suprême honneur rendu à l’infatigable chercheur de la vérité par l’unique bercail du Christ, le pape Léon XIII l’élève au cardinalat. Newman souligne alors à Rome, en réponse nette aux cabales menées contre lui à la Curie auparavant, qu’il a toujours lutté contre le libéralisme en matière religieuse. Il meurt le 11 août 1890. Béatifié par Benoît XVI en 2010, proposé comme saint patron de l’ordinariat personnel de Notre-Dame-de-Walsingham, que le pontife érige en 2011 pour recevoir dans la communion catholique les convertis de l’anglicanisme, John Henry Newman est enfin élevé au rang des saints par le pape François en 2019. Il est fêté liturgiquement le 9 octobre.
Docteur en philosophie, Vincent-Marie Thomas est prêtre.
Au-delà des raisons d'y croire :
Voici le texte du beau poème intitulé « Lead, Kindly Light ». Cette lumière que Newman chante est la lumière divine qui éclaire et guide l’âme dans les ténèbres d’ici-bas :
Conduis-moi, douce lumière, parmi l’obscurité qui m’environne, conduis-moi !
La nuit est sombre, et je suis loin du foyer, conduis-moi !
Garde mes pas ; je ne demande pas à voir
Les scènes éloignées : un seul pas est assez pour moi
Je n’ai pas toujours été ainsi : je n’ai pas toujours prié que tu me conduises ;
J’aimais choisir et voir mon chemin, mais maintenant conduis-moi.
J’aimais le jour éclatant, et, malgré mes craintes,
L’orgueil dominait mon vouloir : ne te souviens pas des années passées.
Aussi longtemps que ta puissance m’a béni, aussi longtemps elle me conduira encore,
À travers landes et marécages, rochers et torrents, jusqu’à ce que la nuit s’achève
Et qu’avec ce matin sourient ces visages angéliques
Que j’ai longtemps aimés et perdus pour une heure.