Les quinze apparitions de Notre Dame à Pellevoisin

En décembre 1875, Estelle Faguette, domestique chez les La Rochefoucauld d’Estissac, est mourante, malgré les soins médicaux que ses maîtres, généreux et attachés à elle, lui font prodiguer. La jeune femme de trente-deux ans est installée au bourg de Pellevoisin, dans le Berry, où elle vit ses derniers jours. Estelle n’a qu’une angoisse : l’avenir de sa famille, dont elle est l’unique soutien financier. Il lui vient alors l’idée d’écrire une lettre à la Sainte Vierge, qu’elle fera déposer devant la statue de Notre Dame de Lourdes, dans le parc du château. C’est le début d’une étonnante histoire.

Vitrail de l'église de Nangis représentant l'apparition de la Vierge à Estelle Faguette / © CC BY-SA 3.0, GFreihalter.

Les raisons d'y croire :

Très pieuse, Estelle Faguette se résignerait à mourir si elle ne craignait pas de laisser sa famille dans une très grande détresse financière. C’est la seule raison qui la pousse à écrire à Notre Dame de Lourdes et à faire porter sa supplique à la représentation de la grotte de Massabielle, que les La Rochefoucauld ont fait bâtir dans leur parc. Estelle demande un miracle de guérison, comparable à ceux dont elle a entendu parler. Il ne lui vient évidemment pas à l’esprit que Notre Dame viendra en personne lui porter la réponse et qu’elle va, à son tour, bénéficier d’un cycle d’apparitions mariales.

La nuit du 14 février 1876, alors que ses douleurs l’empêchent de dormir, elle voit le diable à son chevet la regarder méchamment, comme s’il attendait qu’elle rende l’âme pour l’entraîner en enfer. Elle est terrifiée mais, soudain, Notre Dame apparaît et le chasse : « Ne crains rien ! Mon Fils va se laisser toucher. Tu souffriras encore cinq jours en l’honneur des cinq plaies de mon Fils. Samedi, tu seras morte ou guérie. Si mon Fils te rend la vie, je veux que tu publies ma gloire. » Les mots « Mon Fils va se laisser toucher » sont un écho du message de Pontmain, en 1871, et le reste des propos de Marie sont de ceux que la jeune fille ne saurait inventer.

D’ailleurs, leur véracité sera rapidement vérifiable puisque Marie pose une échéance à cinq jours, laissant planer le doute entre mort ou guérison. Si, à cinq jours de là, Estelle n’est ni morte ni guérie, l’on saura qu’elle a tout inventé ou qu’elle a été la dupe d’un délire lié à la fièvre.

Une seconde apparition a lieu le lendemain. Cette fois, Marie affirme : « Tu seras guérie samedi. Tu souffriras et ne seras pas exempte de peines : c’est ce qui fait le mérite de la vie. » Là encore, il sera facile de vérifier.

Marie répond aussi aux regrets de sa confidente, qui n’a pu finir son noviciat dans la congrégation qu’elle avait choisie, en lui disant que l’on peut se sauver et faire du bien dans tous les états de vie – pensée très salésienne, étrangère aux idées d’Estelle et qui ne saurait venir d’elle.

« Ce qui m’afflige le plus, c’est le manque de respect qu’on a pour mon Fils dans la sainte communion et l’attitude de prière qu’on a quand l’esprit est occupé à autre chose. Je dis ceci pour des personnes qui pensent être pieuses. » Ces paroles concernant les faux dévots rappellent le style de l’apparition de La Salette, en 1846, mais en portant sur un tout autre sujet. Cette subtile ressemblance ne peut être le fruit d’une imitation volontaire, ni des divagations d’une malade fiévreuse.

Au matin de ce 18 février, mademoiselle Faguette, alitée depuis l’été précédent et dont la santé ne fait que se détériorer, se lève toute seule, à la stupeur de ses parents et du médecin. Elle est définitivement guérie. Ce miracle authentifie les apparitions.

Après le 3 juillet, décevant les attentes d’Estelle, preuve que celle-ci n’invente pas ses apparitions, Marie ne se manifeste pas pendant deux mois, période qui correspond à l’interdiction faite par son confesseur à la jeune fille de se rendre au village dans la chambre où elle a eu ses visions. Estelle pose ainsi un acte d’obéissance qui lui coûte et dont, lorsqu’elle se montre à nouveau, le 9 septembre, Marie la récompense.

Commence alors un cycle de révélations sur l’avenir de la France, avec l’annonce des deux guerres mondiales, qu’Estelle ne saurait avoir inventées et qui s’accompliront.

Après sa guérison, Estelle se voue effectivement toute sa vie à la mission que lui a confiée Notre Dame en fabriquant des copies du scapulaire et en le diffusant.

Même persécutée, désavouée, moquée, mademoiselle Faguette n’a jamais cédé sur la vérité des apparitions de Pellevoisin.

Jusqu’à aujourd’hui, les fruits du sanctuaire marial de Pellevoisin sont très importants : conversions, vocations religieuses et sacerdotales, confessions en nombre, guérisons, etc.

Synthèse :

Estelle Faguette naît à Saint-Memmie, près de Châlons-sur-Marne, le 12 septembre 1843. Ses parents sont un couple d’aubergistes prospères que la malhonnêteté d’une parente va ruiner. Cette famille décrite comme « honorable et déchue » dégringole dès lors l’échelle sociale. Obligé, au début des années 1860, de chercher du travail à Paris, son père tombe malade, perd son emploi, ce qui précipite sa femme et ses enfants dans la misère. À la même époque, Estelle entre au noviciat des Augustines hospitalières, qu’elle doit quitter au bout de deux ans, victime d’une mauvaise fracture qui la laisse handicapée. La congrégation, la voyant dans la nécessité de faire vivre ses parents, sa cadette et les enfants de son aînée décédée, la recommande, en 1864, à la famille La Rochefoucauld d’Estissac, qui l’engage comme lingère. La jeune fille donne si parfaitement satisfaction à ses maîtres qu’ils font d’elle la bonne d’enfants, poste de confiance. Cependant, le sérieux, la piété et la probité d’Estelle, sa réussite surtout, lui valent la jalousie et les médisances de la domesticité.

En 1866, pendant le séjour estival annuel de ses maîtres dans leur propriété berrichonne proche de Pellevoisin, Estelle tombe malade. C’est le commencement d’une tuberculose intestinale qui ne cessera d’empirer. Les La Rochefoucauld la gardent à leur service et paient ses soins médicaux, pour rien puisqu’à la fin de l’été 1875, Estelle n’est pas en état de supporter le voyage de retour à Paris. Obligés de la laisser à Pellevoisin, ses maîtres lui louent une maison au bourg et font venir sa famille. On ne lui donne plus que quelques semaines à vivre, mais, en écrivant sa lettre désespérée à la Sainte Vierge, la mourante va totalement modifier le cours des choses.

La démarche est touchante puisque la jeune fille réclame l’aide de la Reine des cieux comme elle implorerait un secours matériel d’une personnalité ou d’une tête couronnée, comme cela se fait à l’époque, comme il n’existe aucune aide sociale. Connaissant les miracles de Lourdes mais dans l’impossibilité de faire le pèlerinage, elle se contente, n’ayant même plus la force de se traîner jusque-là, de faire porter sa supplique à la représentation de la grotte de Massabielle, que les La Rochefoucauld ont fait bâtir dans leur parc. C’est un moyen courant et admis par l’Église de suppléer à un voyage difficile et coûteux.

La Sainte Vierge répond en personne à la demande d’Estelle et lui annonce sa guérison prochaine. Elle lui indique même le texte de l’ex-voto qu’elle devra faire poser dans l’église de Pellevoisin : « J’ai invoqué Marie ; elle m’a obtenu de son Fils ma guérison complète. », La Vierge lui explique aussi la mission dont elle entend la charger : « Si tu veux me servir, sois simple et que tes actes répondent à tes paroles. On peut se sauver dans toutes les conditions. Où tu es, tu peux faire beaucoup de bien […]. Ce qui m’afflige le plus, c’est le manque de respect qu’on a pour mon Fils dans la sainte communion et l’attitude de prière qu’on a quand l’esprit est occupé à autre chose. Je dis ceci pour des personnes qui pensent être pieuses. » Elle lui dit de garder tout cela pour elle tant qu’elle n’en aura pas parlé à son confesseur, et la prévient qu’on « la traitera de folle ». Estelle ne doit pas s’en effrayer : elle l’aidera.

Après sa guérison du 18 février 1876, Notre Dame lui apparaîtra encore. C’est le cas les 1er et 2 juillet. Marie lui dit : « Tu as déjà publié ma gloire. Par moi, il [le Christ] touchera les cœurs les plus endurcis. Je suis venue spécialement pour la conversion des pécheurs. » Le lendemain, 3 juillet, et jusqu’à la dernière apparition, le 8 décembre, fête de l’Immaculée Conception, Estelle voit une pluie lumineuse de gouttes de rosée tomber des mains de Notre Dame – reprise du thème des rayons que Catherine Labouré, le 27 novembre 1830, a vus jaillir des bagues que portait la Sainte Vierge. Le sens est le même : ces gouttes symbolisent les grâces qu’elle veut répandre sur l’humanité, la France et les Français.

Le 8 décembre, Notre Dame apparaît une dernière fois mais console sa confidente en lui promettant de rester « invisiblement » près d’elle pour la soutenir dans « le temps des épreuves ». Sur les habituelles gouttes de rosée lumineuses qui coulent de ses mains, Estelle lit « piété, salut, confiance, santé, conversion » et entend : « Ces grâces sont de mon Fils. Je les prends de son Cœur, il ne peut me refuser. » Marie répète à Estelle qu’elle l’a choisie « pour publier sa gloire et répandre cette dévotion », pour faire beaucoup de scapulaires et qu’il faut « prier en réparation des outrages faits au Christ dans le sacrement de son amour ». Puis, elle lui présente à baiser le Sacré Cœur du scapulaire, qu’elle sent vivant.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.

Au-delà des raisons d'y croire :

Trois enquêtes canoniques permettent de reconnaître le caractère miraculeux de la guérison d’Estelle Faguette, mais l’Église ne se prononce pas sur la réalité des apparitions. Cependant, en 1900, Léon XIII, favorablement disposé vis-à-vis d’Estelle, qui a prophétisé son élection, la reçoit et l’encourage. Le 22 août 2024, le Dicastère pour la doctrine de la foi a accordé un nihil obstat à la dévotion mariale de Pellevoisin, ouvrant ainsi la voie à une éventuelle reconnaissance des apparitions.

Aller plus loin :

Estelle Faguette, Estelle nous parle, autobiographie et récit des quinze apparitions par la voyante, Monastère des dominicaines, 1993.

En savoir plus :

Marquise d’Auray, Notre-Dame de Pellevoisin et le Sacré Cœur, Éditions des apprentis d’Auteuil, 1898.
Mgr Pierre Bauron, Notice sur Notre-Dame de Pellevoisin, Imprimerie de Villeurbanne, 1904.
Abbé Charles Chouzier, Dévotion à Notre-Dame de Pellevoisin, Tardy, 1913.
Gaétan Bernoville, Pellevoisin, le village de la Vierge, Éditions de Gigord, 1931.
Jean-Emmanuel de Gabory et Jean-Baptiste Edart, Pellevoisin, la miséricorde au féminin, CLD, 2017.
Sylvie Bernay, Estelle Faguette, la voyante de Pellevoisin, Le Cerf, 2021.
Le site Internet du Sanctuaire de Pellevoisin.
Sur le site Notre Histoire avec Marie, l’article : « À Pellevoisin, la Vierge Marie apparaît 15 fois à une jeune femme et lui demande de prier pour la France ».