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TOUTES LES RAISONS DE CROIRE
Les grands témoins de la foi
n°323

Paris

1764 – 1794

Madame Élisabeth, ou le parfum des vertus

Le 10 mai 1794, Paris, place de la Révolution, actuelle place de la Concorde. Les amateurs de divertissement macabre se pressent autour de la guillotine, attendant l’arrivée des charrettes des condamnés. Ce soir, le spectacle sera exceptionnel, car le Tribunal révolutionnaire a condamné à mort la propre sœur du feu roi Louis XVI, Élisabeth de France. Rares sont ceux, à Paris, qui ignorent la réputation de vertu, pour ne pas dire de sainteté, de cette princesse qui vient de fêter ses trente ans et veut faire de sa mort, acceptée et offerte, « un sacrifice d’agréable odeur » à Dieu. À l’instant où sa tête tombe dans le panier du bourreau, un extraordinaire parfum de rose se répand sur la place, couvrant la puanteur du sang en train de cailler sous le chaud soleil printanier. C’est précisément ce qui s’appelle « mourir en odeur de sainteté ».

Élisabeth Louise Vigée Le Brun, Élisabeth de Bourbon, 1779, National Trust. / © CC0, wikimedia.
Élisabeth Louise Vigée Le Brun, Élisabeth de Bourbon, 1779, National Trust. / © CC0, wikimedia.

Les raisons d'y croire :

  • Élisabeth Philippine Marie Hélène de France, dernier enfant du dauphin Louis-Ferdinand, fils unique de Louis XV, et de Marie-Josèphe de Saxe, est née à Versailles le 3 mai 1764. À cette date, l’on célèbre la découverte de la Sainte Croix par sainte Hélène à Jérusalem en 326. Toute sa courte vie, Madame Élisabeth pensera que ce jour n’est pas anodin et que son destin est placé sous le signe du Calvaire, ce qu’elle accepte généreusement.
  • La fillette perd très tôt ses parents, puis sa grand-mère et enfin son grand-père, le roi. Même si elle est entourée par des éducatrices et des domestiques, elle est donc, très jeune, seule au monde et a peu de contacts avec ses frères, futurs Louis XVI, Louis XVIII et Charles X, indifférents à cette cadette bien plus jeune qu’eux. La seule de la fratrie dont elle est proche est sa sœur aînée, Clotilde, future bienheureuse, mais le mariage de celle-ci avec le prince de Piémont, en 1775, les sépare définitivement. Élisabeth va donc apprendre à se détourner des affections humaines pour chercher les consolations divines.
  • Elle a d’autant plus de mérites que piété, prière et vertu ne sont pas bien vues à la Cour. Tout le monde, même la jeune reine Marie-Antoinette, qui prend l’attitude de sa belle-sœur pour une condamnation silencieuse de son mode de vie, s’ingénie à la détourner de ce chemin austère pour découvrir la pensée des Lumières et s’émanciper des commandements du catholicisme.
  • Malgré sa jeunesse, Élisabeth, dotée d’un caractère déterminé, ne se laisse pas faire et entend mener sa vie comme elle veut quand elle comprend, vers quinze ans, qu’elle ne se mariera pas. En effet, faute de rois ou de princes héritiers disponibles (seuls susceptibles d’aspirer à la main de la sœur du roi de France), elle est vouée à rester célibataire quand elle atteint l’âge de convoler.
  • Cependant, contrairement à ce que diront ses biographes au XIXe siècle, la princesse n’a pas la vocation religieuse. Elle ne souhaite pas imiter sa tante, Madame Louise, entrée au Carmel, et refuse l’abbatiat de la très riche abbaye des chanoinesses de Remiremont quand son frère la lui offre. En avance sur son temps, elle aspire à ce qui ressemble à une vie de laïque engagée, voire consacrée.
  • Sa vive piété ne fait pas d’elle une sotte. Élisabeth dessine et sculpte avec talent, et elle est une cavalière intrépide, capable de monter des étalons de guerre dont se méfient des officiers de cavalerie. Elle est une scientifique et mathématicienne de très haut niveau.  Elle s’engage dans diverses activités caritatives, donnant tout ce qu’elle a aux pauvres et se servant de ses connaissances médicales et de son expérience d’infirmière pour animer un dispensaire dans le quartier versaillais de Montreuil.
  • Elle pourrait, lorsque la Révolution commence, quitter la France, n’étant nullement retenue par l’affection du roi et de la reine, qui ne l’aiment guère. Si elle reste, alors que cela met sa vie en danger, c’est certes par sens du devoir, mais surtout parce qu’elle redoute que son aîné, assez gagné aux idées philosophiques, perde de vue ses responsabilités de roi catholique et entérine les mesures révolutionnaires hostiles à l’Église, sans en mesurer la gravité et la portée. Lucide, elle sait qu’elle n’empêchera pas la persécution, mais son vrai souci, à défaut d’éviter les catastrophes, sera de sauver l’âme de son frère, qu’elle juge en danger. Elle y réussit d’ailleurs, ramenant Louis XVI au sens de sa mission, mais trop tard.
  • Telle est la raison qui lui fait sacrifier sa vie en restant en France, alors qu’elle a eu plusieurs fois l’occasion de rejoindre sa sœur Clotilde en Italie. Pareil héroïsme, alors qu’elle aspire à la liberté, ne peut venir que du Ciel.
  • L’abnégation est le trait dominant du caractère de Madame Élisabeth, qui passe sa vie à s’oublier pour s’occuper des autres, qu’il s’agisse de sa famille, de ses amis ou des pauvres. Même quand elle est très mal payée de ses générosités, elle ne pense jamais à elle ni ne se décourage. C’est la marque d’une âme chrétienne de haute qualité, qui met le bien du prochain, matériel ou spirituel, plus haut que tout, même que sa propre vie.
  • Élisabeth est condamnée par le Tribunal révolutionnaire pour son appartenance à « la famille de nos anciens tyrans », donc comme princesse, et sous des motifs politiques d’activités contre-révolutionnaires. Elle ne peut donc, et elle le dit à ses compagnons de supplice, être considérée comme martyre, puisqu’elle n’est pas mise à mort « en haine de la foi » mais – et l’Église, en rouvrant sa cause de béatification, a insisté sur ce point – elle est une martyre du dévouement, de l’amour fraternel. À ce titre, un phénomène mystique peut s’être produit à l’instant de sa mort.
  • Certes, le seul témoignage concernant le parfum de rose qui se répand sur la place émane, après la Révolution, de la famille Costa de Beauregard, dont un membre assista à l’exécution de la princesse, mais il n’a aucune raison de l’avoir inventé. Il ne peut s’agir non plus d’une illusion, car il commence à faire chaud, en ce début mai, et il coule tant de sang place de la Révolution que la puanteur devient insoutenable, au point qu’il faut, par hygiène, déplacer très vite la guillotine jusqu’à la Nation. Pour que le parfum ait couvert l’odeur du sang, il faut qu’il ait été fort. Par ailleurs, de nombreux témoins ont signalé l’espèce de panique qui s’est emparée, à l’instant de la mort de la princesse, des personnes proches de l’échafaud, essentiellement tricoteuses et sans-culottes, qui se sont enfuies sans motif apparent.

Synthèse :

Madame Élisabeth, plus jeune sœur de Louis XVI – un temps promise à épouser l’infant du Portugal ou l’empereur Joseph II d’Autriche, ces deux projets n’ayant pu se concrétiser – est vouée à un célibat définitif, sort peu enviable. Comme le dit sa belle-sœur Marie-Antoinette, pensant aux tantes non mariées de Louis XVI : « Il ne fait pas bon être fille en ce pays-ci » (la Cour). La princesse le sait mais, pieuse et généreuse, décide de faire de son célibat non voulu un moyen de sanctification, non une malédiction. Elle consacrera sa vie à rendre heureux ses proches et à les rapprocher de la foi, révélant dans sa correspondance avec ses amis des dons remarquables pour la direction de conscience. Refusant de quitter la France en 1789, puis en 1791, comme elle le pourrait, elle assume son choix de ne pas abandonner son frère dans l’épreuve. Bien qu’il se refuse à écouter les conseils politiques de sa jeune sœur, pourtant plus douée que lui en ce domaine, Louis XVI finit, tardivement, par admettre leur bien-fondé, notamment en matière religieuse, et se décide à les suivre. Si son refus d’entériner les mesures révolutionnaires contre le catholicisme hâte sa déchéance et son exécution, il lui permet de rester fidèle à sa vocation de fils de Saint Louis et de sauver son âme à défaut de sa couronne. Après l’exécution de son frère, le 21 janvier 1793, Élisabeth partage la captivité de sa belle-sœur et de ses neveux. Quand le petit Louis XVII est enlevé à sa famille, en juillet, puis quand la reine est transférée du Temple à la Conciergerie, en août 1793, elle reste seule avec sa nièce, Marie-Thérèse (Madame Royale), à laquelle elle sert de mère de substitution, lui donnant la force et le courage de surmonter les épreuves qui l’attendent. Jusqu’au pied de la guillotine, Élisabeth soutient ses compagnons de supplice et leur parle de Dieu, les exhortant à espérer en la miséricorde divine du Sacré Cœur, dévotion dont elle est propagatrice jusqu’au bout.

Jeté avec des centaines d’autres dans la fosse commune du cimetière des Errancis, disparu lors de l’urbanisation du XVIIe arrondissement, sous Napoléon III, son corps n’a pu être retrouvé et repose sans doute dans les catacombes parisiennes.

Ouverte une première fois dans les années 1930, puis oubliée en raison de la guerre, sa cause de béatification est de nouveau en cours d’instruction.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin :

  • Anne Bernet, Madame Élisabeth, sœur de Louis XVI, celle qui aurait dû être roi, Tallandier, 2013.

En savoir plus :

  • Élisabeth Guénard (Brossin de Méré),Histoire de Madame Élisabeth de France, sœur de Louis XVI, Lerouge, 1802.
  • Antoine Ferrand, Éloge historique de Madame Élisabeth de France, 1814.
  • Feuillet de Conches, Correspondance de Madame Élisabeth, Plon, 1868.
  • M.-A. Beauchesne, La Vie de Madame Élisabeth, sœur de Louis XVI, Perrin, 1869.
  • Comtesse d’Armaillé : Madame Élisabeth, sœur de Louis XVI, Perrin, 1886.
  • Albert Savine, Madame Élisabeth et ses amies, Michaud, 1910.
  • Élisabeth-Marie du Lys, Une grande chrétienne, Madame Élisabeth de France, sœur de Louis XVI, 1932.
  • Jean de Viguerie, Le Sacrifice du soir, vie et mort de Madame Élisabeth, sœur de Louis XVI, Le Cerf, 2010.
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