La rencontre du Christ et de Jérôme Lejeune

En 1967, Jérôme Lejeune a quarante et un ans. Il est l’un des plus grands scientifiques de son temps grâce à la découverte, en 1959, du chromosome surnuméraire à l’origine du mongolisme, renommé grâce à lui trisomie 21. Internationalement célèbre, titulaire de la première chaire de génétique française, le jeune professeur de médecine est, de l’avis général, en route pour un prix Nobel mérité. Cet avenir fait de gloire, de succès et d’aisance financière, il y renoncera, deux ans après, quand il comprendra qu’il lui faudrait, pour l’atteindre, laisser détourner de leur but ses recherches et se faire complice de ceux qui veulent imposer à l’Occident « un nouveau paradigme », une vision de la Vie, de l’Homme, de la société, en rupture revendiquée avec la loi de Dieu et la foi chrétienne. Ce choix héroïque, que ses adversaires lui feront payer jusqu’à sa mort, il en a puisé la force un matin d’août 1967, au cours d’une excursion au bord du lac de Tibériade, où il bénéficia d’une brève expérience mystique qui fera d’un catholique pieux et pratiquant un « dévoué volontaire » au service du Christ.

Les raisons d'y croire :

• Né et élevé dans la foi catholique, dont il ne s’est jamais écarté, pratiquant régulier et scrupuleux, fervent même, Lejeune prie, mais il n’a jamais connu quoi que ce soit qui se rapproche d’une expérience mystique ; il n’a d’ailleurs jamais essayé d’en connaître. Son frère aîné, le peintre Philippe Lejeune, mis dans la confidence par une lettre envoyée de Terre sainte juste après les faits, se montrera très surpris tant l’événement correspond peu à son cadet. Il le dira avec humour : « Le mystique de la famille, c’était moi ! » L’on peut donc écarter toute autosuggestion dans l’affaire, Jérôme étant étranger à ces phénomènes et ne les recherchant pas.

• Ce voyage en Israël se fait dans le cadre d’un congrès médical qui se tient à Tel-Aviv ; il ne s’agit donc pas d’un pèlerinage et la majorité des médecins présents, soit juifs soit agnostiques, ont tendance à mettre en boîte le « catho de service » lors des excursions sur les hauts lieux du christianisme. Il est donc impossible d’attribuer l’histoire à un climat d’exaltation pieuse ; ce serait plutôt le contraire.

• C’est précisément parce que l’ambiance du groupe lui déplaît que Lejeune, au lieu d’aller se baigner avec les autres dans le lac de Tibériade, préfère aller visiter la chapelle à côté, qu’il trouve laide ; l’endroit ne prête pas à la moindre exaltation religieuse. C’est pour avoir un moment de tranquillité qu’il y entre, rien de plus. Ce qui va lui arriver dès qu’il en aura poussé la porte est donc imprévisible et surprenant car, si Lejeune avait été en quête d’émotions religieuses, Nazareth, Bethléem ou Jérusalem auraient fourni un cadre plus approprié.

• Lejeune, à peine entré, est envahi par le sentiment, jamais éprouvé auparavant, d’une Présence qu’il sait être celle du Christ, si forte qu’il lui faut se prosterner : « Et dans cette petite chapelle de mauvais goût, sur ce dallage récent qui n’avait pas trente ans, je m’allongeai de tout mon long pour baiser les traces imaginaires des pas de celui qui était là. Ce geste naïf – instinctif, je dirai presque – me paraissait en lui-même ridicule mais pas le sentiment qui m’y poussait […]. Je baisai le dallage en signe d’affectueuse déférence car je ne savais que dire et ne trouvais rien d’autre à faire. » Il reste parfaitement lucide, puisqu’il se trouve un peu ridicule.

• Il décrit ensuite son expérience avec son sérieux de scientifique, disant ce qu’elle n’est pas plutôt que ce qu’elle est et qui lui demeure mystérieux : « Surtout, ne crois pas, mon cher frère, que j’eus à l’instant une vision, que je fus transporté en esprit, ravi d’une extase indicible. Tout en moi était aussi raisonnant que d’habitude, jugeant mon action comme dérisoire et pourtant résonnait une vibrance inconnue et pourtant familière tentant par l’adoration de rejoindre un unisson auquel je ne pouvais prétendre. Un fils retrouvant un père très aimé, un Père enfin connu, un maître révéré, un cœur très sacré découvert, il y avait de tout cela et beaucoup plus. Comment dirai-je ? De la tendresse, de la douceur, de l’affection, de l’amour timide et pourtant décidé, un besoin de faire savoir combien j’étais touché jusqu’au cœur de tant de gentillesse et de bonté de sa part, qu’il voulût bien être là et que je l’y reconnusse, qu’il m’eût accueilli si tendrement et fraternellement. Comment dire ? Du tendre amour le plus évident. »

• Lejeune a donc la révélation instantanée et définitive, qui emplira désormais toute sa vie, de la présence du Christ à ses côtés, de son amour immense et inconditionnel. La simplicité du récit, l’absence de toute mise en scène, de tout caractère sensationnel est le gage de son authenticité. Il s’est vraiment passé quelque chose lors de ce très court instant à notre échelle humaine, mais hors du temps.

• Lejeune quitte la chapelle, étonné de la brièveté de son expérience, étonné qu’au-dehors, rien n’ait changé alors que lui-même est retourné, empli d’une certitude nouvelle : « Je m’éloignai, […] emportant pour jamais la certitude des retrouvailles et de la merveilleuse intimité que Jésus a préparée pour les hommes, […] en cet envers réel de tout ce qui est et qui ne se découvre enfin que lorsque l’on peut le voir de l’autre côté du temps. »

• Il est totalement changé, a le sentiment d’être devenu un soldat du Christ en vue d’un combat qu’il ignore encore. Le choix de ce vocabulaire chez lui est d’autant plus surprenant qu’il a un côté antimilitariste, souvenir de son service militaire, et ne se réfère jamais à ce genre d’image auparavant.

• La meilleure preuve de la véracité de l’histoire est qu’il va en effet devenir un soldat du Christ et se battre jusqu’à son dernier jour au nom de l’Évangile pour la défense des plus petits et des plus désarmés, les enfants à naître, surtout ceux atteints de trisomie 21, voués à l’avortement thérapeutique. Cet engagement dans le combat pour la Vie va anéantir sa brillante carrière, lui barrer la route du prix Nobel de médecine, le mettre au ban de sa profession, l’exposer à des menaces et des avanies en tous genres qu’il pourrait arrêter en acceptant de se taire. Il ne le fera pas. Un tel courage ne peut venir que de Dieu.