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Les anges et leurs manifestations
n°131

France

VIIIe-XXIe siècle

Le Mont Saint-Michel, ou comment le ciel veille sur la France

Aujourd’hui, l’un des monuments les plus visités au monde, le Mont-Saint-Michel, a traversé l’histoire européenne depuis plus d’un millénaire et a connu tous les régimes politiques. Monastère, lieu de pèlerinage, chef-d’œuvre d’architecture et patrimoine national, la « Merveille de l’Occident », placé sous le regard de saint Michel, est un lieu de rencontre entre Dieu et les hommes. L’archange est célébré au Mont lors du triduum de la Saint-Michel entre le 29 septembre et le 1er octobre.

© Unsplash/André Ouellet
© Unsplash/André Ouellet

Les raisons d'y croire :

  • En 708, l’évêque d’Avranches, Aubert, voit en songe l’archange saint Michel qui désigne le mont Tombe comme lieu pour ériger un sanctuaire en son nom. Doutant de l’authenticité de ce message, Aubert ne s’exécute pas tout de suite. À sa troisième intervention auprès de l’évêque, saint Michel appuie son doigt sur la tête d’Aubert. La marque que laissa l’ange est encore visible sur le crâne de saint Aubert, conservé en la basilique Saint-Gervais, à Avranches.
  • Au Moyen Âge, le site naturel sur lequel sont implantés le village et l’abbaye est très inhospitalier et extrêmement difficile d’accès. Rien ne freine pourtant l’essor spirituel, culturel et économique de la communauté montoise qui semble être bénie.
  • Le Mont-Saint-Michel reste étonnamment préservé de nombreux périls : il est épargné par les raids Normands au Xe siècle ; peu armé, il résiste tout de même au siège des Anglais durant la guerre de Cent Ans et à la convoitise des huguenots durant les guerres de religion au XVIe siècle. Il est marquant que ce lieu soit demeuré français et catholique à travers les siècles.
  • De même, les douze incendies recensés au Mont au cours du temps ont tous entraîné des dégâts très circonscrits, et ce malgré la faiblesse des moyens techniques des secours et de l’approvisionnement en eau.
  • Le nombre de miracles (en particulier de guérisons) rapportés par les générations successives de pèlerins est impressionnant.
  • L’abbaye, transformée en prison sous la Révolution française, renaît de ses cendres au XIXe siècle de manière toute providentielle. Depuis 709, hormis quelques décennies, le Mont a conservé sa vocation originelle de communauté monastique et de lieu de pèlerinage.
  • Les bâtisseurs du Moyen Âge sont passés outre la topographie accidentée des lieux pour mettre sur pied ce prodige architectural. La sublime élévation gothique baptisée « Merveille » est une prouesse technique : les deux bâtiments de trois étages sont appuyés, comme par miracle, sur la pente d’un rocher de 80 mètres de hauteur.
  • Il y a une démesure incompréhensible à vue humaine entre la petite communauté fondée par saint Aubert au VIIIe siècle et l’incroyable monastère qui, dans le même espace, accueille aujourd’hui des dizaines de milliers de pèlerins.

Synthèse :

En 708, saint Aubert, évêque d’Avranches, voit en songe l’archange saint Michel qui, par trois fois, lui demande de fonder un sanctuaire en son honneur. La première communauté que le saint fonde peu après est composée de quelques chanoines dont le désir est avant tout de se retirer loin du monde, au « désert » : le rocher, coupé du continent, est propice à leur vie contemplative. Le 16 octobre 709 a lieu la dédicace d’un premier oratoire, exigu et rudimentaire.

Malgré l’éloignement géographique du rocher, un pèlerinage voit rapidement le jour : la dévotion à l’archange saint Michel est très populaire à cette époque. En 780, un moine franc, un certain Bernard, devient le premier pèlerin connu. L’implantation spirituelle et humaine au Mont prend finalement assez peu de temps. C’est très surprenant : au milieu du IXe siècle, les Vikings attaquent le Cotentin et commettent des exactions, mais le Mont résiste de façon inattendue.

Au siècle suivant, Richard Ier de Normandie a une intuition géniale en demandant à des moines bénédictins, en remplacement des chanoines, de Normandie de fonder sur le rocher un nouveau monastère. À la fin du Xe siècle, l’abbaye du Mont-Saint-Michel est devenue réalité. Dès lors, le lieu devient un sanctuaire régional, puis national et européen : les religieux veillent à conservertoujours plus de saintes reliques. Il en arrive de partout. L’abbaye est considérée comme un vaste reliquaire, égalant les sanctuaires les plus importants du monde chrétien.

Parallèlement, les générations successives d’architectes, bravant les conditions naturelles particulières du lieu, réussissent à édifier des bâtiments d’une rare beauté. En 1023 commence le chantier de l’église romane qui prend fin plus d’un demi-siècle plus tard. La « Merveille » remplace progressivement les anciennes édifications.

Outre leur vie propre, avec ses règles, ses horaires et ses impératifs, les moines doivent gérer les flux de pèlerins et l’économie du village construit au pied de l’abbaye. Dans de telles conditions, il est extraordinaire d’observer que les habitants de l’endroit ont survécu de manière incroyable à la catastrophe causée par la peste noire de 1348. De même, lors de la guerre de Cent Ans, les tentatives anglaises d’occupation du Mont ne durent finalement pas longtemps. En 1462, Louis XI se rend au Mont et crée l’ordre de Saint-Michel, destiné à la noblesse. Les guerres n’ont pas eu raison du Mont. Les affres politiques et religieuses n’y parviendront pas davantage.

En 1523, Jean de Lamps, dernier abbé à avoir été élu par ses religieux, meurt. Il est remplacé par un homme désigné par le roi. C’est le début du système de la « commande », qui ruine la vie des communautés pendant près de 150 ans. En 1615, on craint la fin : Henri de Lorraine, grand aristocrate, est nommé abbé du Mont-Saint-Michel ; il est âgé de 16 mois ! De façon totalement inattendue, un vent de réforme souffle sur le monde religieux, et on restaure les anciens usages au Mont dès 1622, bien que les abbés montois restent désignés par le souverain jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.

Ni le siècle des Lumières, avec son lot de difficultés intellectuelles et institutionnelles (en 1766, l’abbé montois, Loménie de Brienne, est rapporteur de la commission des réguliers chargée, en France, de la suppression des communautés religieuses jugées trop « fragiles »), ni la Révolution n’éteignent définitivement l’éclat du sanctuaire. Certes, vers 1800, l’aura de l’abbaye médiévale est un lointain souvenir (le monastère a été transformé en prison), mais jamais l’État français n’a abandonné l’endroit.

Aussi, c’est contre toute attente que la sève monastique va resurgir au Mont dans la seconde moitié du XIXe siècle, après plus de 70 ans de désaffection religieuse. Trois hommes seulement sont à l’origine de ce renouveau : l’architecte Viollet-le-Duc qui visite le Mont dès 1835, Napoléon III qui ferme l’établissement pénitentiaire et l’architecte Édouard Corroyer, chargé de la restauration. Le Mont-Saint-Michel est classé au titre des monuments historiques en 1874. Les années qui suivent sont paradoxales : tandis qu’une vague d’anticléricalisme submerge la France de la IIIe République naissante, on restaure brillamment les infrastructures monastiques. La tâche était immense : en 1817, s’étaient effondrés coup sur coup le cellier, l’hôtellerie et l’infirmerie construite au Moyen Âge, et, en 1834, le Mont avait connu le douzième incendie de son histoire.

Les pouvoirs publics ont manifestement compris l’intérêt touristique et culturel du lieu. Le rocher est bientôt relié au continent par une digue et, grâce au développement du chemin de fer, les Français reprennent la route du prestigieux pèlerinage. Chef-d’œuvre d’architecture, phare spirituel, le Mont appartient en 1900 à la mémoire collective des Français. Le XXe siècle, ainsi que le début du XXIe, continue de plus belle les aménagements et les modernisations de la « Merveille », du site et de ses abords (poldérisation).

Le 6 août 1897, la grande statue de l’archange saint Michel est installée au sommet de la flèche de l’église abbatiale, comme si la France, au-delà de toutes croyances, rendait hommage au prince de la milice céleste.

Mais c’est la restauration de la vie monastique qui reste le plus surprenant à une époque que l’on dit indifférente au fait religieux : en 1965-1966, les festivités du millénaire du Mont sont célébrées avec faste. En 2001, les frères de la Fraternité monastique de Jérusalem s’installent au Mont en remplacement des derniers bénédictins qui, à leur tour, ont cédé leur place à la communauté Saint-Martin en 2022.

Il n’existe au monde aucun endroit semblable, si petit quant à ses dimensions mais si universel d’un point de vue religieux, culturel et symbolique.

Patrick Sbalchiero


Au-delà des raisons d'y croire :

Le Mont-Saint-Michel, au-delà de sa renommée spirituelle mondiale, est aujourd’hui un objet culturel de premier plan (on ne compte plus le nombre d’auteurs majeurs ayant écrit à son sujet) et un site touristique privilégié, posé dans un écrin écologique exceptionnel.   


Aller plus loin :

Millénaire monastique du Mont Saint-Michel, Paris, 1966-1993, 5 vol.


En savoir plus :

  • Lucien Bély, Le Mont Saint-Michel, monastère et citadelle, Rennes, Ouest-France, 1994.
  • Patrick Sbalchiero, Histoire du Mont Saint-Michel, Paris, Perrin, Tempus, 2015.
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