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Les martyrs
n°262

Province du Guangxi (Chine)

29 février 1856

Double peine pour le père Chapdelaine

Il existe à Dingan, en Chine, un musée très prisé des autorités locales, qui en recommandent la visite. On peut y voir la reconstitution, façon musée Grévin, du procès d’un « criminel étranger », connu sur le territoire national sous le faux nom de Ma Lai, accusé d’espionnage et de viol, rien de moins. Ma Lai est le nom chinois emprunté en 1855 par un missionnaire français, le père Auguste Chapdelaine, pour œuvrer dans l’empire du Milieu, où il subit un long et pénible martyre avant de rendre l’âme, le 29 février 1856. Pour des résultats, à premières vues, quasi nuls…

Comparution d'Auguste Chapdelaine devant les autorités de la province du Guangxi. Détail du vitrail commémoratif en l'église de Boucey / © CC0 1.0/GO69.
Comparution d'Auguste Chapdelaine devant les autorités de la province du Guangxi. Détail du vitrail commémoratif en l'église de Boucey / © CC0 1.0/GO69.

Les raisons d'y croire :

  • Fils d’un fermier du Cotentin, Auguste Chapdelaine entend très jeune l’appel de Dieu, mais son père, désireux d’agrandir son exploitation, s’oppose à son désir. Il ne peut entrer au grand séminaire de Coutances que tardivement, sans être passé par le petit séminaire, de sorte qu’il a un gros retard scolaire et doit subir l’humiliation d’être scolarisé avec des garçons plus jeunes que lui, sans toutefois que cela l’affecte ou qu’il renonce. Il faut être sûr de sa vocation pour s’accrocher dans ces conditions. Seule la certitude de répondre à la volonté de Dieu explique cet acharnement.
  • Auguste Chapdelaine est certain de vouloir rejoindre les Missions étrangères de Paris, qui évangélisent l’Extrême-Orient – vocation particulièrement risquée. Les missionnaires savent ce qui les attend : certitude de ne jamais revoir la France ni leur famille, ministère exercé dans la clandestinité, car le christianisme reste interdit dans ces pays, risque constant d’être arrêté, torturé, martyrisé, et, si l’on échappe aux poursuites des autorités, une espérance de vie réduite à moins de cinq ans pour un Occidental, en raison du climat, des maladies tropicales et de la tâche éreintante qui les attend. Il faut que ces jeunes prêtres soient transportés, comme Auguste Chapdelaine, par leur amour du Christ et leur désir de sauver les âmes pour accepter pareils sacrifices et une mort quasi certaine, prématurée et atroce. Or, ils sont des dizaines en France chaque année à s’y préparer.
  • Auguste Chapdelaine attend huit ans avant que son souhait se réalise. Là encore, il faut être sûr de sa vocation et de la volonté divine pour attendre si patiemment et si longtemps le moment opportun. La plupart se décourageraient ; pas lui. Il a alors presque quarante ans, ce qui est vieux pour ce qui l’attend : apprendre une nouvelle langue et les coutumes locales, prendre l’apparence d’un natif du pays... Seuls la foi, l’amour des âmes et la soif du martyre expliquent cette constance.
  • Auguste Chapdelaine est désigné pour la Chine. Depuis l’expulsion des missionnaires et la persécution de 1723, les catholicités locales n’ont plus ni prêtres ni sacrements. Qu’une minorité de ces fidèles, frappés de sentences lourdes (exil loin de leur région d’origine, prison, torture et mort) n’aient pas renié le Christ après plus de cent trente années d’abandon constitue en soi un miracle.
  • Fin 1855, les autorités impériales, inquiètes du réveil des catholicités chinoises, et d’une recrudescence des conversions, déclenchent de nouvelles persécutions. Cette fois, tout prêtre européen, soupçonné d’être un espion, sera décapité. Chapdelaine le sait mais part quand même. Il est envoyé dans le district de Xilin.
  • Début février 1856, une rafle a lieu parmi les catholiques de Xilin : tous sont arrêtés, y compris le père Chapdelaine. À l’exception d’un jeune homme nommé Laurent, d’une jeune veuve catholique, Agnès, et du missionnaire français, tous apostasient. Devant l’effondrement complet de la chrétienté qui lui avait été confiée, Chapdelaine ne se décourage ni ne se plaint de l’inanité de ses efforts, pas plus qu’il ne pense mourir pour rien. Il a confiance en Dieu qui ne permettra pas que son sacrifice reste vain et qui, tôt ou tard, fera prospérer la foi dans ce pays.
  • Le prêtre est condamné à recevoir trois cents coups de baguette de rotin – type de flagellation spécialement douloureux – puis à subir diverses tortures. Malgré tout, à la vive déception du juge qui lui promet une mort rapide s’il admet être un espion et s’il renie son Dieu, Chapdelaine tient bon. Les autorités l’accusent alors d’être l’amant d’Agnès et des autres chrétiennes, qu’il aurait subornées, mais ces calomnies ne l’atteignent pas ; il s’en remet à Dieu pour laver son honneur.
  • En attendant son exécution, retardée dans l’espoir de le voir fléchir, le père Chapdelaine est condamné au supplice de la cage : il est enfermé dans une boîte en bambou, dans laquelle un adulte peut à peine se tenir debout, s’il n’est pas trop grand, mais ne peut ni s’asseoir ni s’allonger pour dormir. La cage est suspendue à l’entrée du tribunal, privant le condamné de toute intimité. Elle livre le malheureux au froid, aux intempéries, aux regards des curieux qui viennent là comme au zoo insulter le prisonnier ou lui jeter des ordures. Personne ne survit longtemps à ce traitement dégradant. Sachant que l’on pourrait y mettre un terme à condition de renier le Christ, il faut un soutien surnaturel pour résister à cette tentation et endurer ces conditions…

Synthèse :

Né le 6 juin 1814 à La Rochelle-Normande, dans le Cotentin, Auguste est le dernier enfant d’un couple de fermiers, Nicolas et Madeleine Chapdelaine. Âpre au gain, désireux d’exploiter plus de terres, son père, qui a pris en fermage une grosse exploitation, refuse de le laisser partir au séminaire. Mais ses ambitions sont anéanties par les décès de plusieurs de ses fils et de sa femme, qui l’obligent à revenir à son ancienne ferme. Par crainte d’avoir offensé Dieu en lui refusant son benjamin, il l’autorise à partir.

À vingt ans, Auguste entre au séminaire de Coutances. Ordonné à vingt-neuf ans, en 1843, il se voit refuser la permission de rejoindre les Missions étrangères de Paris, car on le juge de santé trop fragile pour l’Asie. Nommé vicaire de la paroisse rurale de Boucey, il assume pendant neuf ans avec dévouement son rôle de prêtre de campagne, sans renoncer à son rêve d’Extrême-Orient et de martyre. En 1852, son évêque l’autorise enfin à rejoindre les Missions étrangères. À la fin de sa formation, il fait ses adieux définitifs à la France et aux siens et part pour l’Asie sans même savoir où il sera envoyé.

Ce sera Hong Kong, où il parfait son apprentissage du chinois, avant d’être envoyé sur le terrain en 1855. Ce premier apostolat dure neuf jours. Dénoncé, car sa pratique du mandarin reste faible et il ressemble peu à un Chinois, le prêtre normand est expulsé pour avoir quitté les comptoirs européens et prêché une religion interdite depuis 1723. Parfois, certains missionnaires profitent de ce genre de mésaventure pour rentrer en France. Avoir échappé à la mort n’a pas dissuadé Chapdelaine de continuer. Il n’a qu’une envie : retourner en Chine, même si les autorités ont durci la législation antichrétienne, condamnant à mort tout prêtre catholique surpris sur leur territoire, les accusant d’espionnage au profit des puissances occidentales.

Depuis la première guerre de l’opium, achevée en 1842, et afin de permettre aux Occidentaux de pratiquer leur religion, la Chine a dû, à contrecœur, tolérer l’arrivée de missionnaires catholiques, mais ceux-ci n’ont pas le droit de quitter les comptoirs européens. Évidemment, les prêtres des Missions étrangères passent outre à cette interdiction et s’enfoncent à l’intérieur des terres pour évangéliser.

Fin 1855, ses supérieurs l’envoient à Xilin, dans le Kouang-Si. La catholicité locale est anéantie début février 1856, presque tous ses membres préférant abjurer par peur des supplices. Chapdelaine se retrouve seul avec deux fidèles, Agnès, jeune veuve qui seconde les missionnaires dans diverses tâches, comme le catéchisme et les œuvres de charité, et Laurent, un adolescent. Mi-février 1856, les prisonniers sont transférés au chef-lieu, Baijiazhai. Ils sont tous les trois si cruellement torturés que Laurent ne survit pas. Le prêtre et Agnès sont condamnés à mort, mais, au lieu d’exécuter la sentence, le juge, dans l’espoir de les voir abjurer, les condamne à la cage, étroite prison de bambou exposée suspendue en plein air à la porte du tribunal.

Le père Chapdelaine, brisé par les supplices subis et dont la forte carrure ne tient pas dans la boite de bambou, succombe d’épuisement le 29 février 1856. Agnès lui survit jusqu’au 1er mars. Malgré les promesses de libération et de nouvelles tortures – les magistrats s’imaginent que, privée de son « amant », elle va apostasier –, Agnès reste fidèle. Plus tard, les témoins affirmeront l’avoir entendue répéter inlassablement : « Jésus, je vous aime ! Jésus, secourez-moi ! »

La mort du père Chapdelaine scandalisera l’opinion publique en France, et fournira au gouvernement de Napoléon III un prétexte pour reprendre les hostilités contre la Chine ; ce sera la deuxième guerre de l’opium, qui, avec le sac du palais d’Été, près de Pékin, par les « diables blancs », demeure un camouflet intolérable pour les Chinois, qui en tiendront le prêtre défunt pour responsable.

Auguste Chapdelaine et Agnès ont été canonisés le 1er octobre 2000 avec une centaine d’autres martyrs chinois. Cette cérémonie a profondément irrité les autorités chinoises, qui s’acharnent sur la mémoire du missionnaire normand, toujours officiellement accusé d’être un espion français amateur de femmes – calomnies que tous les historiens ont aisément réfutées, sans mettre un terme à la propagande communiste.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin :

Abbé Bouvier, Un martyr normand, le vénérable Auguste Chapdelaine, Grillot, 1894.


En savoir plus :

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