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TOUTES LES RAISONS DE CROIRE
La profondeur de la spiritualité chrétienne
n°393

XVIe siècle

Les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, pour se tourner vers le Christ

Personne ne doute que l’entraînement physique est utile à la santé du corps. La répétition des mouvements augmente l’endurance et la performance chez celui qui les accomplit. L’esprit n’échappe pas à cette loi. Les philosophes antiques, qui recommandaient la pratique des exercices spirituels, le savaient bien. Socrate invitait souvent ses auditeurs à l’introspection par les mots suivants, gravés sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes : « Connais-toi toi-même. » Mais la version chrétienne des exercices spirituels, composée par saint Ignace de Loyola, va bien plus loin que sa parente antique.

Statue de saint Ignace de Loyola. / © Shutterstock, Oleg Senkov.
Statue de saint Ignace de Loyola. / © Shutterstock, Oleg Senkov.

Les raisons d'y croire :

  • L’école philosophique fondée par Platon – l’Académie – a pris au cours des siècles la forme du scepticisme qui doute de toutes choses. Ainsi, le précepte socratique semble n’avoir abouti qu’à une remise en cause de toute connaissance. Le chrétien, quand il rentre en lui-même, ne remet pour autant pas en question ni le monde extérieur sensible ni le monde extérieur spirituel. Avec saint Ignace, il s’agit d’ordonner les mouvements de son âme en raison de leur valeur, afin de ne pas s’attacher plus à ce qui nous entoure qu’à l’auteur de toutes choses : le Dieu créateur.
  • L’empereur romain Marc-Aurèle exprime dans ses Pensées pour moi-même sa philosophie stoïcienne de l’introspection : accepter sereinement le destin et garder la maîtrise de soi-même en se détachant progressivement des passions qui perturbent la paix de l’âme. Cette école de pensée conduit à un certain désintérêt de la vie sociale pour se concentrer sur soi-même. Rien de tel pour saint Ignace : s’il recommande l’ascèse des désirs, c’est pour mieux aimer Dieu et servir ses frères, parents, proches, amis, voisins et concitoyens. Saint Ignace va donc à l’encontre de l’attitude prônée par le stoïcisme ; il détourne son regard de soi-même pour le porter vers les autres : Dieu et les hommes.
  • Ignace de Loyola doit plusieurs fois se défendre contre des accusations d’hérésie : à Alcala d’abord, où il est accusé d’illuminisme et emprisonné pendant plusieurs semaines, puis à Salamanque, où il est inquiété par l’Inquisition, en 1527 et 1528. Il n’est relâché qu’une fois complètement disculpé des erreurs doctrinales qu’on lui imputait. Ces épreuves pénibles pour lui sont le garant de la parfaite cohérence des Exercices spirituels avec les dogmes enseignés par l’Église. L’ouvrage sera d’ailleurs approuvé officiellement par le pape Paul III, par la bulle Pastoralis officio, le 31 juillet 1548.
  • Saint Ignace souhaite que les Exercices permettent de « laisser le Créateur agir sans intermédiaire avec la créature, et la créature avec son Créateur et Seigneur » (ES, no 15). Quelques points sont donnés sobrement par le prédicateur, sans emphase ni moyens oratoires superflus. Ce sont la sincérité et l’affection sincère du prédicateur envers ses auditeurs, qui découlent de la forme et du message des Exercices spirituels, que les retraitants peuvent ressentir. Ainsi parvient-il à faire voir à ces derniers la justesse du message qu’il transmet, sans avoir besoin d’insister. Car c’est en définitive Dieu qui, par le moyen des Exercices, s’adresse à ceux qui veulent mieux le servir. C’est lui le Maître intérieur qui converse avec l’âme au cours des instructions.

  • Le succès et le renom des Exercices spirituels parlent d’eux-mêmes. Quand, à la suite de la fondation de la Compagnie de Jésus, le 27 septembre 1540, Pierre Favre parcourt l’Europe à la manière d’un prédicateur itinérant, à la demande de saint Ignace, sa prédication des Exercices s’avère être une grande réussite. Ces prémices de succès seront suivies de beaucoup d’autres.
  • Matteo Ricci, entré chez les jésuites en 1571, est envoyé fonder une mission en Chine en 1583. Il se sert des Exercices spirituels et écrit à leur propos : « Ce livre est d’une utilité aussi grande que la Bible au sens où, pendant que nous parlons, nous pouvons mettre sous les yeux de nos interlocuteurs des choses que les mots seuls ne pourraient expliquer » (cité sur le site jesuites.com). Les Exercices spirituels font en effet appel à l’imagination, mais en la canalisant : une « composition de lieu » permet au retraitant de concevoir en son esprit la scène à méditer, ce qui facilite le travail de l’esprit, et lui évite de partir dans des digressions.

  • Le père François de Paule Vallet, jésuite espagnol (1883 – 1947), a condensé les quatre semaines (soit trente jours) en une retraite de cinq jours qui permet depuis à tous de suivre les « Exercices de saint Ignace », comme on les désigne couramment. De 1923 à 1927, il prêcha les exercices à 12 500 retraitants. Sous cette nouvelle forme, les Exercices constituent aujourd’hui comme hier – la grande majorité de ceux qui y ont participé en témoigne – un instrument extraordinaire de conversion, c’est-à-dire de retour au Christ.
  • Quatre étapes de durée variable ponctuent la retraite, au cours desquelles le prédicateur propose des méditations ou des contemplations. La première s’achève par la réception du sacrement de pénitence. Dieu y montre à l’âme le salaire du péché, la mort éternelle, et lui représente combien le mal accompli volontairement blesse son Cœur divin. C’est pour l’expier, médite-t-on durant les deux semaines suivantes, que Jésus-Christ, deuxième personne de l’adorable Trinité, a pris un corps et une âme humaine en la Vierge Marie, a souffert la Passion et est mort sur la Croix. Enfin, la quatrième semaine présente au retraitant le Christ désormais ressuscité, c’est-à-dire vivant et glorieux, qui transforme à son image, par le moyen de sa grâce, ceux qui se remettent à lui avec confiance. Le séjour éternel où il est entré le premier leur est promis, pourvu qu’ils persévèrent en son amour.

Synthèse :

Ignace de Loyola s’engage en 1517 dans l’armée du duc de Lara, nommé vice-roi de Navarre par Ferdinand II d’Aragon – le royaume de Navarre a en effet été envahi en 1512 par les armées de Ferdinand et annexé au royaume de Castille, au détriment de la dynastie légitime, les rois de la maison française d’Albret. C’est pendant le siège que les troupes françaises de François Ier font de Pampelune, capitale du royaume de Navarre, qu’Ignace est blessé :des éclats dus au choc d’un boulet de canon lui rompent la jambe. Il est opéré à la maison familiale. Alité pendant les premiers mois d’un repos forcé qui durera presque un an, le convalescent est contraint de rentrer en lui-même, de faire silence en son âme et de réfléchir au but de sa vie sur terre. Le secrétaire du futur fondateur de la Compagnie de Jésus, le père Camara, rapportera sous la dictée d’Ignace, dans le Récit du pèlerin, les origines des Exercices spirituels :faute d’autres lectures disponibles, Ignace lit alors la Vie du Christ de Ludolphe le Chartreux, religieux saxon du XIVe siècle et la Vie des saints d’un dominicain du siècle précédent, Jacques de Voragine. L’ouvrage déjà cité de Ludolphe le Chartreux marquera notablement Ignace.

Il note au fur et à mesure les impressions qu’il découvre en son âme et qu’il estime utiles non seulement à lui-même, mais encore à d’autres. Il comprend que les mouvements de désolation et de consolation qui alternent en son âme doivent être attribués soit à l’Esprit divin, soit aux esprits malins, et qu’on peut ainsi les considérer ou non selon leur valeur. Il comprend aussi que s’arrêter à ces impressions sensibles conduit à une illusion : Dieu est Esprit et c’est comme tel qu’il convient de le chercher. Il prend goût à la vie intérieure qui, ultimement, n’est autre qu’un dialogue avec Jésus-Christ.

Rétabli et enflammé du désir d’expier ses péchés passés, il part à pied en février 1522 en pèlerinage pour Jérusalem. Il fait halte à l’abbaye bénédictine de Montserrat, en Catalogne, se confesse et y demeure trois jours. Il partagea probablement son temps entre la prière méditative et la lecture de livres issus de la devotio moderna, courant de dévotion apparu aux Pays-Bas à la fin du XIVe siècle et qui offre aux personnes vivant dans le monde des méthodes d’union au Christ. Les livres qu’il conseille à ses lecteurs dans le Récit du pèlerin proviennent de ces milieux. Il prend aussi probablement connaissance de l’Exercitatorio de la vida espiritual de l’abbé Garcea Jimenez de Cisneros, décédé douze ans plus tôt.

Il rompt définitivement avec son ancien état de vie de soldat durant la nuit du 24 mars 1522, lorsqu’il accroche en ex-voto ses habits militaires et ses armes devant la célèbre statue de la Vierge de Montserrat. Couvert d’une simple haire de toile serrée à la taille par un cordon, il reprend la route de Barcelone. Mais, fatigué par ses pratiques ascétiques extrêmement rigoureuses et encore mal remis de ses blessures, empêché d’entrer dans la ville en raison de la peste qui y sévit, soucieux également d’éviter le cortège de l’ancien précepteur de l’archiduc Charles d’Autriche (devenu l’empereur Charles Quint depuis 1520) – et actuel cardinal-archevêque de Tortose (en Catalogne), élu pape sous le nom d’Adrien VI –, qui se rend de Madrid à Rome, Ignace demeure plusieurs mois dans une grotte, près de Manrèse.

Il y mène une vie de pénitence digne des Pères du désert de l’Antiquité chrétienne. Il bénéficie alors d’une illumination de l’intelligence qui lui donne, dit-il, une si grande clarté de l’entendement qu’il estime être devenu un homme différent en ce sens que la connaissance des choses de Dieu et de celles de ce monde a pris en lui une acuité telle qu’elle n’est en rien comparable avec ce qu’il savait auparavant. C’est dans l’ermitage improvisé de Manrèse qu’il décide de mettre en ordre les notes qu’il avait prises à Loyola et qu’il a complétées au cours de ses lectures et de son cheminement intérieur. Trois cents pages en format in-quarto, rédigées avec une écriture soignée, en seront le fruit.

Après s’être rendu selon son désir en pèlerinage en Terre sainte de mars 1523 au même mois de l’année suivante, Ignace reprend des études à Barcelone, d’abord, puis dans la brillante université d’Alcala, en Castille, fondée par le cardinal Cisneros (l’oncle de l’abbé) en 1499, et enfin dans la prestigieuse université de Salamanque. En 1528, il part pour Paris où, étudiant au collège Sainte-Barbe, il est reçu maître ès arts (les « arts » sont les arts libéraux) par l’université en 1533, grade qui lui ouvre la porte de l’université de théologie, où il reçoit la permission d’enseigner la théologie en 1534. Ces onze années d’études, notamment celles de théologie, lui permettent de préciser la rédaction des Exercices spirituels. La vie commune l’a obligé à relativiser ses aspirations ascétiques, afin de les rendre accessibles à tous. L’ouvrage sera finalement approuvé officiellement par le pape Paul III, par la bulle Pastoralis officio, le 31 juillet 1548.

Docteur en philosophie, Vincent-Marie Thomas est prêtre.


Au-delà des raisons d'y croire :

Saint Ignace avait demandé à l’un de ses compagnons, Jérôme Nadal, de concevoir un manuel illustré qui permît d’enseigner facilement la méditation spirituelle aux novices jésuites. Le père Nadal commanda les illustrations des thèmes qu’il avait retenus aux artistes Bernardino Passeri, romain, et au flamand Martin de Vos. Il se chargea de la rédaction des légendes.

Le recueil vit le jour à Anvers, sur les presses de Martin Nutius, successeur de l’imprimeur Christophe Plantin, en 1593, treize années après le décès de son auteur. Les graveurs étaient célèbres : Adrien et Jean Collaert, Charles van Mallery et les trois frères Wierix, tous graveurs flamands de renom.

Le recueil suit l’ordre des contemplations données par saint Ignace dans les Exercices et qu’il nomme alors « compositions de lieu ». L’ouvrage en devient ainsi un complément, car il permet au retraitant de se plonger entièrement dans la scène présentée par le prédicateur, qu’il contemple comme s’il y participait. L’ouvrage est disponible en ligne.


Aller plus loin :

Saint Ignace de Loyola, Exercices spirituels, Saint-Joseph-de-Clairval, Traditions monastiques.


En savoir plus :

  • Saint Ignace de Loyola, Récit du pèlerin (autobiographie), Paris, Salvator, 2019.
  • Alexandre Brou, Saint Ignace, maître d’oraison, Paris, Spes, 1925.
  • Michel Caillaud, Philippe Maxence et Michel de Penfentenyo, Les Exercices spirituels de saint Ignace, Flavigny-sur-Ozerain, Traditions monastiques, 2004.
  • Andreas Falkner, « Was las Inigo de Loyola auf seinem Krakenlager ? Zum Prooemium der Vita Jesu Christi », dans Geist und Leben, 1988, no 4 (juillet-août), p. 257-264. Disponible en ligne.
  • E. Raitz von Frentz, « Ludolphe le Chartreux et les Exercices de saint Ignace », dans Revue d’ascétique et de mystique, no XXV, 1949, p. 375-388.
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