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TOUTES LES RAISONS DE CROIRE
La profondeur de la spiritualité chrétienne
n°133

France

1575-1629

Le cardinal Pierre de Bérulle sur le mystère de l’Incarnation

Une certaine historiographie a fait du cardinal Pierre de Bérulle un homme d’État, occultant ou minimisant l’essentiel de sa vie : la foi catholique. Derrière ses hautes fonctions et ses honneurs, il demeure avant tout un serviteur de Dieu, en qui il puise son énergie, son talent littéraire et ses intuitions mystiques. Initiateur de l’école française de spiritualité, Pierre de Bérulle remet le Christ au centre avec l’idée que la mission de l’Église consiste à poursuivre son Incarnation ici et maintenant. Le Pape Urbain VIII voit en lui l’« apôtre du Verbe incarné ». Pierre de Bérulle meurt en célébrant la messe le 2 octobre 1629.

Cénotaphe de Pierre de Bérulle, musée du Louvre. / © CC BY-SA 4.0 / Jacques Sarrazin Selbymay
Cénotaphe de Pierre de Bérulle, musée du Louvre. / © CC BY-SA 4.0 / Jacques Sarrazin Selbymay

Les raisons d'y croire :

  • La réflexion approfondie de Bérulle autour du mystère de l’Incarnation argumente en faveur de la véracité du christianisme en mettant en évidence la cohérence et la beauté d’un Dieu qui se fait homme pour apporter le salut. « Là, Dieu incompréhensible se fait comprendre, Dieu ineffable se fait entendre, Dieu invisible se fait voir » (Le Discours de l’état et des grandeurs de Jésus, 1623 ; et La Vie de Jésus, 1629).

  • Bérulle veut se mettre en toute chose au service de Dieu. Son désintéressement authentique est visible tout au long de sa vie. Ordonné prêtre, il fait vœu de n’accepter aucun bénéfice ecclésiastique. Il veut ensuite décliner le titre de cardinal, et lorsqu’il est écarté du pouvoir politique, il ne s’accroche pas et poursuit sa quête « d’abnégation intérieure ».

  • Loin de séparer ses activités politiques de sa foi, il fait de la seconde le principe unique des premières. Il n’a donc eu de cesse de rechercher la paix à tous les niveaux : entre nations, entre groupes sociaux, entre personnes.
  • Une part de ses écrits révèle une dimension mystique indéniable : uni à Dieu, Pierre de Bérulle est avant tout un grand priant et un homme de contemplation. Il raconte comment, en 1608, une grâce mystique vient ancrer ses intuitions : « Je ressentis que je devais entrer dans un entier oubli de moi-même et de tous états. J’ai ressenti une séparation du monde, et une grande conversion et adhérence à Dieu. »

  • Ses accomplissements forcent l’admiration : il réussit à introduire en France le Carmel, réformé par sainte Thérèse d’Avila, et fonde en un temps record quarante couvents de ce type. Pour mettre en œuvre les réformes demandées par le concile de Trente, il fonde également la société de l’Oratoire (1611) qui compte déjà soixante communautés à sa mort.
  • Son héritage spirituel (plusieurs milliers de pages) est immense et novateur : Bérulle initie pour une grande part l’école française de spiritualité qui laisse une empreinte profonde jusqu’à nos jours.

Synthèse :

Né à Cérilly (France, Yonne) le 4 février 1575, non loin du village de Bérulle (aujourd’hui dans le département de l’Aube), Pierre appartient à une famille de parlementaires : son père est conseiller au parlement de Paris ; sa mère, née Séguier, est la fille d’un président à mortier. Élève doué, il aime les études, la prière, les cérémonies liturgiques et la convivialité de son entourage. C’est tout naturellement qu’on l’envoie étudier au collège des Jésuites de Clermont, pépinière d’où sort une partie de l’élite de l’époque. La spiritualité de saint Ignace laisse en lui une empreinte indélébile.

Il suit les cours de théologie à l’Université de Paris, où il découvre le monde de la capitale, ses réalités, ses intrigues, mais aussi la présence du Christ dans les diverses communautés religieuses, paroisses et personnalités qu’il croise.C’est à Paris que naît sa vocation d’écrivain. Comment servir Jésus en vérité au milieu du bruit ambiant et du tumulte des passions humaines ? Il répond en écrivant un premier texte dont le titre annonce déjà l’ensemble de son œuvre : Discours sur l’abnégation intérieure. Inspiré par la mystique italienne Isabelle Bellinzaga, ce livre est important car il montre déjà la prégnance du thème favori de Bérulle : l’abaissement de Jésus dans l’Incarnation.

C’est également à Paris qu’il découvre la diversité du monde religieux d’alors. Des Franciscains aux Chartreux, tout l’intéresse, rien n’émousse sa curiosité et son dévouement. Les spécialistes ont retrouvé les diverses influences spirituelles de son œuvre qui prennent corps dès avant 1600 dans la capitale.

En 1599, après avoir achevé brillamment son cursus, il est ordonné prêtre. Commence alors pour lui une période d’intense activité. Il multiplie les conférences, les retraites, les échanges, les lectures. Il fait du mystère de l’Incarnation le cœur de sa spiritualité et de ses exposés. Ce cheminement intérieur aboutit en 1622 à la publication de son Discours de l’état et des grandeurs de Jésus qui va exercer une grande influence sur les représentants de l’école française de spiritualité, Charles de Condren, Jean-Jacques Olier, saint Jean Eudes, saint Vincent de Paul.

Parallèlement, ses dons naturels, son intelligence et la qualité de ses homélies le font remarquer jusque dans l’entourage royal. Henri IV en fait son confesseur et lui demande d’intervenir dans les relations diplomatiques avec les protestants. C’est le début d’une longue carrière au service de la France, qui ne doit aucunement faire oublier qu’il se considère avant tout comme un chrétien, un prêtre, au service de l’Évangile. Ainsi, après une rencontre avec saint François de Sales en 1602, il se passionne de plus belle pour le renouveau insufflé dans l’Église catholique par le concile de Trente. En 1604, il introduit en France les carmélites réformées par sainte Thérèse d’Avila en Espagne au siècle précédent. C’est une première, et une réussite. Il ouvre leur premier couvent, à Paris, au faubourg Saint-Jacques, avec l’aide de sa nièce, Barbe Acarie, la future bienheureuse Marie de l’Incarnation, première stigmatisée française. Quarante couvents sont créés en seulement dix-huit ans.       

Pierre connaît parfaitement les réalités, les valeurs et les difficultés du clergé diocésain. Le 11 novembre 1611, voulant offrir aux prêtres séculiers un espace spirituel qui puisse leur apporter paix et fraternité, il fonde la société de l’Oratoire. Prenant modèle sur l’Oratoire romain fondé par saint Philippe Néri, dont il connaît admirablement la vie et l’œuvre, il initie cependant un mouvement novateur : les prêtres qui en deviennent membres vivent en commun et tendent « à la perfection de la vie évangélique », mais ils ne prononcent pas de vœux solennels et restent au service des évêques des diocèses. Une fois encore, Bérulle se met au service de Jésus dans les conditions humaines de son temps, celui de la Contre-Réforme, initiée par les pères du concile de Trente.

En 1627, le pape Urbain VIII le nomme cardinal. C’est un séisme intérieur. Bérulle refuse cet honneur, se jugeant absolument indigne. Tentative inutile : le souverain pontife lui ordonne d’accepter ! De surcroît, Urbain VIII lui demande de participer à la réforme des moines bénédictins en France

Pour Bérulle, son espoir de passer sa vieillesse dans l’enfouissement, éloigné de tout sauf de Dieu, s’éloigne à mesure que le temps passe. La reine Marie de Médicis le nomme chef de son Conseil – nomination qui ne lui attire pas que des sympathies. Observant son ascension politique d’un œil méfiant, le cardinal de Richelieu en prend ombrage.

Mais Bérulle veut témoigner de sa foi jusque dans les circonstances les plus compliquées. Il parvient à réconcilier de manière incroyable Marie de Médicis et son fils, le jeune Louis XIII. Ce succès lui vaut une nouvelle nomination : le voici conseiller d’État. C’en est trop pour Richelieu, qui l’écarte du pouvoir sous divers prétextes. Bérulle vient de perdre sa place dans l’appareil d’État. Mais il n’en tient grief à personne, s’abandonne à la providence et poursuit sa quête spirituelle et philosophique.

En novembre 1627, il rencontre René Descartes à la nonciature, à Paris. Un dialogue est amorcé entre les deux hommes. Le cardinal demande à l’illustre philosophe de participer personnellement à la réforme de la philosophie sans perdre de vue l’horizon religieux et culturel de la France, essentiellement chrétien. La même année, il publie ses Élévations sur sainte Madeleine, ouvrage fort d’une richesse mystique indéniable.

Pierre, cardinal de Bérulle meurt subitement en célébrant la messe, le 2 octobre 1629. Sa plus grande fierté est d’avoir contribué comme personne à mettre l’Incarnation du Christ au cœur de la spiritualité catholique. Dans le sillage de la vaste réforme du concile de Trente, la mission de l’Église consiste, selon lui, à poursuivre – ici et maintenant – cette incarnation. Surnommé « l’apôtre du Verbe incarné », Bérulle a ouvert le chemin à quatre siècles de réflexion théologique. 

Patrick Sbalchiero


Au-delà des raisons d'y croire :

Christologie et mariologie, Jésus et Marie : saint Louis-Marie Grignion de Montfort, fidèle lecteur de son œuvre, a expliqué que Pierre de Bérulle fut un fervent apôtre de la Vierge Marie en France. En effet, jamais Bérulle ne sépare le Fils de la Mère et, constamment, c’est au mystère de l’Incarnation qu’il rattache ce qu’il dit de la Vierge.


Aller plus loin :

François Monfort, Petite vie de Pierre de Bérulle, Paris, Desclée de Brouwer, 1997.


En savoir plus :

  • Pierre de Bérulle, Œuvres complètes, 10 t., Paris, Desclée de Brouwer, 1996.
  • Raymond Deville, L’École française de spiritualité, Paris, Desclée de Brouwer, 1987.
  • Stéphane-Marie Morgain, Pierre de Bérulle et les Carmélites de France, Paris, Le Cerf, 1995.
  • Christian Barone, L’Homme au-dessus des cieux. Anthropologie et christologie en Pierre de Bérulle, Paris, Le Cerf, 2018.
  • Encyclopédie mariale de Marie de Nazareth, 16 articles sur la vie et la doctrine du cardinal Pierre de Bérulle.
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