La réconciliation surnaturelle du duc d’Aquitaine

Synthèse :

En 1130, deux hommes sont élus papes. Pierre de Léon, qui prend le nom d’Anaclet II (1130-1138), et Grégoire Papareschi, qui prend le nom d’Innocent II (1130-1143). Cette double élection trouble l’Église occidentale. Très rapidement, entre mai et septembre 1130, le roi de France, Louis VI (1108-1137), décide de convoquer un concile à Étampes, afin d’examiner la question. À la suite de ce concile, l’Église de France reconnaît Innocent II comme pape légitime. Cette décision est confirmée par le concile de Reims qui se tient en octobre 1131. Henri Ier (1100-1135), roi d’Angleterre, et Lothaire III (1125-1137), qui règne en Germanie, rejoignent aussi le parti d’Innocent II.

Toutefois, le très puissant duc d’Aquitaine et comte de Poitiers, Guillaume (1126-1137), qui est aussi le père de la fameuse Aliénor d’Aquitaine, qui sera reine de France et d’Angleterre, soutient de son côté Anaclet II, probablement sous l’influence de Gérard de Blavia. Élu évêque d’Angoulême en 1102, Gérard fut le légat de quatre papes. En 1131, il devient aussi archevêque de Bordeaux, tout en conservant son siège d’Angoulême. Au moment du schisme, il se range du côté d’Anaclet II. Les partisans d’Innocent II subissent diverses persécutions (amendes, confiscations, etc.). Les évêques de Poitiers et de Limoges sont même chassés de leur siège et contraints à l’exil.

Bernard, accompagné d’une délégation de plusieurs évêques, dont celui de Chartres, rencontre Guillaume X à la fin de l’année 1134 ou au début de l’année 1135. Lors d’une précédente entrevue, Bernard avait réussi à convaincre le comte de se rallier à Innocent II, mais celui-ci avait ensuite changé d’avis.

Après un long argumentaire, s’appuyant sur la Bible, la théologie et l’histoire, la délégation parvient à convaincre Guillaume X de se rallier à Innocent II. Toutefois, celui-ci refuse de se réconcilier avec les évêques qu’il avait auparavant chassés de leur siège, à cause de leur fidélité à Innocent II, estimant avoir été personnellement offensé par ceux-ci.

Voyant que la discussion n’aboutit pas, Bernard décide alors d’aller célébrer l’Eucharistie, tandis que le comte se tient à la porte de l’église. Après la consécration, Bernard s’avance vers le comte avec la patène et, animé d’un esprit de force, place celui-ci directement sous le jugement du Christ : « Nous t’avons prié et tu nous as méprisés. Dans une autre rencontre que nous avons déjà eue avec toi, la multitude des serviteurs de Dieu, assemblée devant toi, t’a supplié et tu nous as dédaignés. Voici que s’avance vers toi le Fils de la Vierge, qui est le chef et le Seigneur de l’Église que tu persécutes. Voici ton juge : à son nom, tout genou fléchit, aux Cieux, sur terre et aux enfers. Voici ton Juge : entre ses mains tombera ton âme. Vas-tu le mépriser, lui aussi ? Vas-tu le dédaigner, lui aussi, comme ses serviteurs ? »

Guillaume d’Aquitaine perd alors le contrôle de son corps, s’effondre et se roule par terre. Ses chevaliers le relèvent, mais il tombe à nouveau. Incapable de parler, il n’émet que des gémissements. Bernard, continuant à s’approcher, lui ordonne alors de se réconcilier avec l’évêque de Poitiers qui est aussi présent, en lui donnant le baiser de paix. Guillaume obéit, embrasse l’évêque et le rétablit sur son siège. Ainsi, l’église d’Aquitaine se rallie à Innocent II.

Aller plus loin :

Guillaume de Saint-Thierry, Arnaud de Bonneval et Geoffroy d’Auxerre, Vie de saint Bernard, abbé de Clairvaux (trad. R. Fasseta), Paris, Le Cerf, 2022.

En savoir plus :

• L’émission d’Europe 1 « Au cœur de l’histoire », par Franck Ferrand : « Bernard de Clairvaux », 27 octobre 2011.
• H. Claude, « Autour du schisme d’Anaclet : saint Bernard et Giraud d’Angoulême », Mélanges saint Bernard, XXIVe Congrès de l’Association bourguignonne des Sociétés savantes‚ 1954, p. 92.
• Lithographie : représentation de la conversion du duc d’Aquitaine, réalisée en 1850 par Beauvais Hippolyte.
• Peinture : Saint Bernard de Clairvaux (1090 – 1153) et Guillaume X (1099 – 1137), duc d’Aquitaine, réalisée par Martin Pepin (musée des Beaux-Arts, Valenciennes, France).