Recevoir les raisons de croire
< Toutes les raisons sont ici !
TOUTES LES RAISONS DE CROIRE
Les mystiques
n°9

Espagne

1542-1591

Saint Jean de la Croix, poète et psychologue universel

Les obstacles et les vexations subies par Jean de la Croix sa vie durant dépassent ce qu’un homme peut endurer. Malgré la pauvreté, les diffamations et la prison, il réussit à mener à bien la réforme des Carmes espagnols qui connaît une postérité notable : on compte aujourd’hui plus de 14 000 carmes déchaux et carmélites déchaussées à travers le monde. Il laisse une œuvre écrite qui le place parmi les plus grands poètes, psychologues et théologiens.

Saint Jean de la Croix
Saint Jean de la Croix

Les raisons d'y croire :

  • Jean de la Croix est devenu le 26e docteur de l’Église : un titre rarissime qui traduit une personnalité et une œuvre exceptionnelles, à tous niveaux. « Docteur de la théologie spirituelle », il est l’un des grands théoriciens de la vie mystique.
  • La réforme qu’il entreprend dans l’Espagne de son temps est aujourd’hui étendue au monde entier. À sa mort, il y avait 33 couvents et monastères carmes réformés. On en compte aujourd’hui plus de 1 250.
  • Les opposants de Jean le calomnient, tentent de contrecarrer ses actions et le font jeter en prison. On a peine à comprendre comment un homme en proie à de si vives persécutions est parvenu à rédiger tant de chefs-d’œuvre.
  • De nombreux domaines intellectuels et artistiques sont enrichis par son œuvre et sa vie : philosophie, théologie, psychologie, littérature, peinture, musique, cinéma…
  • Les écrits de Jean de la Croix ont nourri la pensée et la spiritualité de saints (saint Vincent de Paul, Marie de l’Incarnation, sainte Thérèse de Lisieux…), de papes (Pie XI, saint Jean-Paul II…) et de philosophes de premier plan (Blaise Pascal, William James, Henri Bergson, Maurice Blondel, Jacques Maritain…).

Synthèse :

Juan de Yepes y Alvarez naît en 1542 à Fontiveros (Espagne, Castille), dans une famille désargentée de la noblesse. Son père, Gonzalo, est chevalier mais il est déshérité après un mariage avec une ouvrière. Très tôt, l’enfant est confronté à la misère. 

En 1547, il manque de se noyer dans une lagune où il est tombé accidentellement. Pourtant, il en réchappe grâce à un paysan parvenu sur les lieux au moment où il va périr. Il expliquera ultérieurement avoir reçu l’aide de la Vierge Marie ce jour-là. Humainement, il était perdu, comme l’ont montré tous les récits qu’il a entrepris de cet événement.

Il veut consacrer son existence à Dieu. Sa volonté de le servir et d’apprendre l’enseignement de l’Église est exceptionnelle : parti de rien, il devient exégète et théologien ; sans bagages intellectuels, ses écrits sur la mystique condensent et dépassent tout ce que l’on a écrit jusqu’alors. À 20 ans, il prononce ses vœux perpétuels de pauvreté, d’obéissance et de chasteté au sein de l’ordre des Carmes, puis est ordonné prêtre en 1567. 

Le projet de Jean est d’aider tout croyant à cheminer librement vers Dieu, quel que soit son état de vie : clerc, laïc ou religieux. Dans ses traités spirituels tels que la Montée du Carmel et la Nuit obscure, il décrit les étapes de l’ascension de l’âme vers Dieu et les chemins qui égarent loin de lui. Selon Jean de la Croix, le seul et ultime moyen de parvenir à « l’union mystique de l’âme à Dieu » est un détachement intégral en s’appuyant uniquement sur Dieu. Cette ascension spirituelle fascine toujours en 2023.

Au fil du temps, Jean remplit des fonctions importantes, tant spirituelles qu’administratives, ce qui balaie définitivement l’argument d’un Jean de la Croix éthéré et « hors-sol » : il est tout le contraire, concret, pragmatique, organisateur, pédagogue ! Il est tour à tour directeur spirituel des carmélites de Beas, aumônier du couvent de l’Incarnation d’Avila et plusieurs fois prieur en Andalousie et à Ségovie.

Jean fait face à beaucoup de contradicteurs, dans une atmosphère de tension allant jusqu’à la violence physique et la persécution. On l’accuse de mille maux : désobéissance, renégat, hérétique et, dans le contexte de l’époque, d’avoir des ancêtres juifs. Il est emprisonné à Tolède pendant neuf mois, dans des conditions très dures ; mais c’est en ce lieu qu’il écrit parmi ses œuvres les plus géniales ! En proie aux difficultés, Jean se sent proche du Christ, humilié et crucifié : « Quand tu portes un fardeau, tu es en compagnie de Dieu qui est lui-même ta force car Il est proche de ceux qui sont dans la peine. »

Les obstacles ne l’empêchent jamais de rester actif : il poursuit avec succès son œuvre littéraire et réussit la réforme des Carmes, même sans le soutien de maints religieux de son propre ordre. Cette réforme, menée conjointement avec sainte Thérèse d’Avila, répond à la volonté d’un renouveau spirituel et d’un retour fidèle à l’esprit et à la tradition du Carmel (règle de 1247 définie par le pape Innocent IV, selon la règle de saint Albert), en particulier concernant la clôture stricte et la pauvreté absolue. La réforme est aujourd’hui non seulement reconnue par l’Église, mais diffusée sur les cinq continents, à tel point que les Carmes déchaux, approuvés par la papauté du vivant du saint (en 1573 puis en 1591), sont actuellement répartis en des centaines de couvents à travers la planète. 

De Pascal à Bergson, Jean de la Croix est considéré comme le maître incontesté des expériences mystiques, en ce sens qu’il donne à celles-ci une parfaite définition. Il assigne aux visions et aux phénomènes surnaturels leur véritable statut (périphérique et accessoire) dans la vie chrétienne, eu égard à l’essentiel (la foi au Christ). La révélation est complète et définitive en Jésus-Christ : « Je t'ai dit toute chose en ma Parole, qui est mon Fils, et je n’en ai pas d’autre ! Que pourrais-je maintenant te répondre ou te révéler de plus ? Porte seulement les yeux sur lui, parce qu’en lui je t’ai tout dit et tout révélé […]. Regarde-le bien, tu trouveras tout en lui déjà réalisé et donné, et beaucoup plus encore » (La Montée du Carmel, II).

Théologiens et philosophes, chrétiens ou non, montrent un vif intérêt pour son œuvre, de sainte Edith Stein à Simone Weil, du père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus à Thomas Merton, du cardinal Hans Urs von Balthasar à Roland Barthes… En 1948, saint Jean-Paul II soutient une thèse de doctorat en théologie sous la direction du père Réginald Garrigou-Lagrange portant sur la foi selon saint Jean de la Croix

Le monde des arts est lui aussi loin d’être insensible à l’œuvre du saint : Paul Valéry, les peintres Salvador Dali et Alfred Manessier et le cinéaste Carlos Saura interprètent à leur manière la spiritualité de Jean de la Croix. Cet engouement dépasse les époques et le cadre des écoles esthétiques.

On voit en lui un immense poète lyrique espagnol. C’est exact, mais il y a plus. Sa poésie est mise au service de la foi et, de ce fait, est en elle-même un commentaire extraordinaire de la Bible et un enseignement théologique vaste et fabuleux. « Ô nuit qui m’as guidé / Ô nuit plus belle que l’aurore / Ô nuit qui as uni l’ami avec l’aimée / l’aimée en l’ami transformée » (« Nuit obscure », Cantiques de l'âme, V). En France, on redécouvre les poèmes de Jean au tournant du XXe siècle grâce à sainte Thérèse de Lisieux qui voit en lui « le saint d’Amour par excellence ». Il rappelle qu’« au soir de cette vie, vous serez jugés sur l'amour ».

Le mystique espagnol, canonisé en 1726 puis proclamé docteur de l’Église par le pape Pie XI en 1926, demeure une référence multidisciplinaire absolue depuis plus de quatre siècles. Le saint est vénéré tant par les catholiques que les anglicans et les protestants : sa démarche s’inscrit dans un mouvement spirituel de conversion, au sens évangélique du terme, fondé sur la liberté de conscience de chaque homme, enfant de Dieu, sans laquelle aucun dialogue entre Dieu et sa créature ne saurait être.  

Patrick Sbalchiero


Au-delà des raisons d'y croire :

Jean de la Croix est le contemporain et l’ami spirituel de Thérèse d’Avila : jamais deux personnes n’auront réussi une réforme aussi complète de leur ordre religieux et à devenir docteurs de l’Église au XXe siècle. Ses textes s’adressent à tous les baptisés et aux hommes de bonne volonté dans leur quête spirituelle. « En toute âme, même en celle du plus grand pécheur du monde, Dieu réside et demeure substantiellement » (La Montée du Carmel, I).


Aller plus loin :

Jean Baruzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, 1924. Rééd., préface d’Émile Poulat, 1999, Salvator.   


En savoir plus :

  • Jean de la Croix, Œuvres complètes, 1990, Paris, Le Cerf.
  • Karol Wojtyla, La foi selon saint Jean de la Croix, 1980, Paris, Le Cerf.
  • Jean Krynen, Saint Jean de la Croix et l’aventure de la mystique espagnole, 1990, Toulouse. 
  • Bernard Sesé, Petite vie de saint Jean de la Croix, 1999, Paris, Desclée de Brouwer.
  • Patrick Sbalchiero, « Saint Jean de la Croix, 1542-1591 », p. 401-402 dans Dictionnaire des miracles et de l’extraordinaire chrétiens, 2002, Paris, Fayard.
Partager cette raison

LES RAISONS DE LA SEMAINE